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Son surnom résonne comme un titre de super héros Marvel. Pourtant, l'histoire étonnante de « Cake Boy » est celle d'un Américain ordinaire à Paris, débarquant presque par hasard sur les plages de la pâtisserie grâce au bouche-à-oreille de ses amis, aux réseaux sociaux et à son talent. Il s'étonne encore lui-même d'obtenir un tel succès avec ses gâteaux, d'être congratulé par la maison Pierre Hermé, ou tout simplement de vivre dans la capitale française, cette ville dont il est tombé amoureux. Il nous avoue même un peu honteusement que sa vie ressemble parfois au « cliché d'un personnage dans un film de Woody Allen à Paris », une vie faite de cafés, de cakes, et de promenades au Jardin du Luxembourg avec son chien Parker, fidèle compagnon qui guide davantage son maître que l'inverse.
Elégant et sobre, Frank Adrian à l'état civil éclaire son interlocuteur d'un sourire franc dont il ne se départit jamais. Un homme qui de son propre aveu ne « vit que pour le beurre, les produits laitiers et les œufs » ne saurait être soupe au lait, au contraire, on dira plutôt de Cake Boy qu'il est une crème, voire une bonne pâte. Cerise sur le gâteau, l'homme nous donne rendez-vous au café Fragments, belle adresse du côté de Chemin Vert, discrète et chaleureuse, où les buns à la cannelle s'avalent aussi vite que les cappuccino. L'idéal pour une conversation passionnante autour d'un art primordial que Frank connaît par cœur : la pâtisserie.
Time Out Paris : D'où vient Cake Boy et où a-t-il appris la pâtisserie ?
Frank Adrian : Je suis né à San Diego mais j’ai fait mes études d'art à San Francisco. En réalité, j’ai appris les basiques tout seul à la maison, avec ma mère et ma grand-mère. On faisait des gâteaux typiquement américains, au chocolat, avec du frosting [glaçage à la vanille à la texture dense et crémeuse, ndlr], mais je n'ai jamais fait d'études de pâtisserie. A San Francisco, je passais mon temps à faire des gâteaux pour moi et mes amis, je testais des choses en cuisinant ce que j’aime manger, c’est la meilleure méthode ! Puis j'ai déménagé à Paris en 2012, et la première année, j’ai goûté toutes les pâtisseries françaises, des mille-feuilles, des Paris-Brest, des kouign-amann, etc. Bref, au bout d’un moment la pâtisserie américaine a fini par me manquer, et c’était dur d’en trouver. Il n’y avait pas autant de coffee shops qu’aujourd’hui et peu d’entre eux vendaient des gâteaux : Coutume dans le 7e et KB rue des Martyrs, c’était à peu près tout. On trouvait des banana bread, des cookies, mais pas de layer cakes, ce genre de trucs qu’on trouve partout aux Etats-Unis.
Du coup, j’ai commencé à cuisiner à la maison pour faire les gâteaux que je voulais. J’organisais des goûters et j’invitais tous mes amis. Petit à petit, certains m’ont demandé de leur faire des gâteaux d'anniversaire, mon truc préféré. Il se trouve aussi que j’ai des amis qui ont ouvert des coffee shops, comme mon ami Chris qui a créé Fondation dans le Marais. Je pense que ça a commencé comme ça : il y a deux ans, ce coffee shop est resté ouvert pendant le mois d’août, mais son pâtissier est parti en vacances. Je suis allé boire un café là-bas et j'ai dit : « Quoi ? Pas de gâteaux avec mon café ? ». Chris a répondu : « Non, pas avant une semaine ». « Et tes clients ? » « ils prendront juste un café ». « Sacrilège ! Je vais te faire des gâteaux, comme ça je pourrais venir les manger. » Alors j'ai apporté des cakes chez Fondation. Les gens ont aimé et ils ont voulu savoir qui les avais cuisinés. J’avais déjà mon compte Instagram « Cake Boy », un surnom que tous mes amis m’ont donné, du coup les clients ont pris des photos des gâteaux en me taguant. Et tout s’est enchaîné naturellement.
Est-ce que c'est devenu ton métier ?
Non, c’est un « projet de passion » [en français dans le texte, ndlr], pas un vrai business. Quelque chose que je garde spécifiquement de petite dimension, car je cuisine d’abord pour mes amis, il se trouve juste que certains tiennent des cafés à Paris, comme le Café Oberkampf que je fournis régulièrement en gâteaux. La plupart du temps, je cuisine sur un rythme très relax, au coup par coup, c’est un projet très agréable et cool, donc si jamais je voulais le porter à un niveau supérieur, ça ne serait sans doute pas aussi marrant, ma liberté me manquerait. Je connais de vrais chefs, ils travaillent énormément, se lèvent très tôt le matin pour cuire leur pain et leurs gâteaux, etc. Moi, je fais un gâteau par semaine le samedi, ça n’a rien à voir.
Depuis que tu es arrivé en 2012, la gastronomie américaine est devenue très tendance à Paris.
Un de mes amis est venu récemment de Californie pour me voir, et je lui ai fait visiter la ville. Il m’a demandé : « Mais pourquoi tous les cafés ont des noms anglo-saxons ? » Et il a raison : Broken Arm, Hollybelly, The Hood, etc. Je n’y avais pas pensé. La plupart font des gâteaux d’origine américaine, et c’est vrai qu’ils sont tenus par des expatriés ou des Français qui ont voyagé à l’étranger. Mon ami était déçu de ne pas trouver davantage de cafés dans l'esprit parisien.
Il existe un contre-exemple récent : La Fontaine de Belleville, qui désire perpétuer la tradition du bistrot à la parisienne.
C'est vrai. Nous y sommes allés, on a bu un café en mangeant du pain perdu, c’était davantage le genre d’endroit qu’il avait envie de voir ! Tout est magnifique, les tables, le carrelage… Les autres coffee shops, on peut en voir du même genre à Brooklyn ou à San Francisco. A la Fontaine, pas de doute, vous êtes en France ! C’est vrai que pour Hollybelly par exemple, les propriétaires Nico et Sarah ont voyagé en Australie et voulaient ramener à Paris le savoir-faire qu’ils avaient trouvé là-bas : bonne nourriture, bon café, service sympa, bonne musique, ambiance chaleureuse. C’est pour ça que ça marche aussi bien ! Maintenant, je ne peux même plus aller dans le café tellement il y a la queue.
La mode américaine est en effet très présente à Paris : hamburgers, food trucks… Un de mes amis a même ouvert un pop-up bike de donuts, qu’il gare devant la librairie Papier Tigre. Tout le monde est fan. Certains se plaignent en disant « ces gens détruisent notre culture gastronomique française ! », mais d'un autre côté c'est aussi une bonne chose de voir Paris s’internationaliser, disposer d’une plus grande variété de gastronomie, comme à Londres.
Quelles sont les différences entre la pâtisserie américaine et la française ? L'américaine a pour réputation d'être très sucrée.
Et ce n'est pas un cliché ! Les gens me demandent parfois des commandes privées pour des gâteaux, alors je préfère prévenir : « il y a beaucoup de glaçage, c’est pas léger ! » Ça dépend du contexte : un gâteau est surtout créé pour des événements exceptionnels. Aux Etats-Unis, vous pouvez aussi en consommer au quotidien, prendre une part de gâteau dans un coffee shop, mais le but c’est que le gâteau soit sucré et fun, parce que c’est destiné aux anniversaires, aux fêtes.
Incontestablement, la pâtisserie française est plus « raffinée », moins sucrée, alors quand je fais des gâteaux, j’essaye de m’adapter, je mets moins de sucre dans le glaçage, je fais une buttercream plus légère, parce qu'aux Etats-Unis, on utilise juste du beurre et 500 grammes de sucre glace, c’est peut-être un peu trop pour un palais français, ou même européen. J’essaye également d’ajouter de la meringue suisse ou italienne, pour que ce soit moins sucré. En Amérique, on met le paquet, on accentue le côté fun alors que la pâtisserie française est un peu plus sérieuse, plus « compliquée », mais c’est très beau ! Quand on voit un magnifique mille-feuilles à côté d’une tranche de gâteau américain, on comprend bien la différence. Le feuilleté est une technique très complexe.
Est-ce que ça t'a pris du temps de trouver tes marques culinaires en France ?
Au début, c’était difficile de trouver certains ingrédients, comme la « baking powder » [levure chimique, ndlr] et la « baking soda » [bicarbonate de soude], car ici, la levure est déjà toute faite, alors que je préfère avoir les deux séparés. C’est de la chimie, la pâtisserie ! Au début, j’ai eu des soucis pour trouver le bon équilibre entre les deux, avec le même résultat que j’obtenais auparavant. Du coup, ma famille m’envoie directement des colis avec ces ingrédients, ça me permet de faire exactement ce que je veux. Pendant longtemps, j’ignorais même qu’il existait des épiceries fines américaines à Paris, comme Thanksgiving dans le Marais ! De toute façon, les produits sont très chers, il vaut mieux les acheter aux Etats-Unis. L’autre petit souci que j’ai eu, c’est pour comprendre les différents types de farines pour gâteaux. Chez nous, c’est assez simple, il suffit de chercher des « cake flours », mais en France, il faut chercher le « type 65 », « type 45 », je ne comprenais rien et il a fallu faire des recherches sur les blogs, comme celui de David Lebovitz, un chef pâtissier qui vit à Paris.
Est-ce que la vie parisienne te plaît ?
Je suis très heureux, pourquoi partir d'ici ? Je veux dire, le beurre salé, hein, c’est terrible. Quand je sais qu'un gâteau que je prépare est trop sucré, j’en mets un peu pour équilibrer, notamment dans le gâteau au chocolat. Le sucré salé est une bonne combinaison, comme le caramel au beurre salé, d’ailleurs j’aime beaucoup les bonbons salés.
Tu peux nous dévoiler tes adresses de prédilection à Paris ?
J’adore les cafés du Marais, je vis dans le 3e et heureusement il y en a beaucoup dans ce quartier. Parfois, je ne quitte pas mon arrondissement pendant toute une semaine. Je ne veux pas faire l’Américain cliché, mais j’adore me promener au Jardin du Luxembourg. En fait, ma balade préférée, c’est d'emmener mon chien Parker jusqu’à la place Saint-Sulpice et d'acheter mon croissant préféré de Paris : le croissant Ispahan de chez Pierre Hermé. Les parfums sont incroyables, il y a du litchi, de la framboise et de la rose, un peu de glaçage, c’est parfait !
Après ça, je prends un journal et je m’assois sur un banc du jardin du Luxembourg. Sinon, je vois souvent mes amis au Boot Café le matin, puis je vais déjeuner sur le canal Saint-Martin. La vie parisienne est remplie de charme et je suis conscient de la chance que j’ai. Le fait d’avoir un chien à Paris m’aide beaucoup, je dois toujours trouver des nouveaux endroits où le promener. J’aime bien l’amener au Jardin des Tuileries et aller chez Kitsuné prendre un café ensuite. Idem aux Buttes-Chaumont, parce que je peux m’arrêter chez Cream pour un café.
Tu tiens également un blog, qu'est-ce que ça t'apporte ?
Je suis un mauvais blogueur. J’ai commencé ce blog sous la pression de mes amis… du coup je ne suis pas très appliqué, je ne le mets pas assez à jour. Cela dit, c’est grâce à mon blog que j’ai été contacté par la maison Pierre Hermé ! Pas mal, hein ? Je n’arrivais même pas à y croire, on parle quand même de quelqu’un qui a été nommé plus grand chef pâtissier du monde en 2016 ! Sur le blog, les gens me réclament sans cesse les recettes de mes gâteaux. Le truc, c’est que je m’inspire généralement de recettes faites par d’autres pâtissiers, par des livres, des blogs, donc je ne voudrais pas que les gens pensent que ce sont des recettes totalement originales. Bien entendu, je change beaucoup de choses dans la recette, notamment pour m’adapter au goût français, mais les basiques de la pâtisserie restent toujours les mêmes, il vous faut du beurre, des œufs, etc., sauf si vous cuisinez pour un vegan.
A ce propos, est-ce que tu as déjà fait de la pâtisserie vegan ?
Je n’ai jamais fait de gâteau vegan ou sans gluten, bien que je sois moi-même végétarien depuis l’adolescence. Mais je vis pour le beurre, le lait et les œufs. D’ailleurs, c’est très compliqué de trouver des endroits à Paris où manger des œufs, juste des œufs, alors que c’est banal aux Etats-Unis. Je pense que c’est parce que les Français les cuisinent chez eux, c’est facile et rapide, donc pas la peine de sortir pour en manger. Cela dit, il y a des œufs Bénédicte délicieux dans le tout nouveau brunch de chez Ten Belles Bread. C’est peut-être la prochaine tendance à Paris, les « Egg Trucks » !
Quel est l'avenir de Cake Boy à Paris ?
Je ne devais pas rester aussi longtemps ici avec mon compagnon, seulement deux ans, alors que ça fait quatre années désormais. Entretemps, nous sommes tombés amoureux de Paris, comme tout le monde ! Et puis notre ville d’origine, San Francisco, est devenue l’une des villes les plus chères du monde. Nous avions la chance d’avoir un superbe appartement de style victorien dans un quartier très agréable, aujourd’hui on ne pourrait plus se le payer. Si nous pouvons rester plus longtemps ici, j'aimerais organiser des ateliers de pâtisserie chez moi. Il faut que ça reste tout petit ! Et amusant, un truc que je peux gérer tout seul. C’est étonnant comme phénomène : Plus vous restez petit, plus les gens vous désirent. Ce n’est pas un projet planifié, ça s’est fait comme ça parce que je fais tout moi-même : Quand je fais un gâteau, je cuisine, je fais le packaging, la décoration, les photos du gâteau… Un ou deux par semaine, ça me suffit pour l’instant.
Les adresses pour trouver les gâteaux de Frank Adrian : le Café Oberkampf, le café Loustic, parfois le Boot Café… et des surprises ici ou là.
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