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Avec le Paris International Festival of Psychedelic Music, la France tient enfin son festival psychédélique depuis deux ans ! Un festival d'été façon « Summer of love », où l'on transpire sur des groupes connus et moins connus venus du monde entier. Comme tout jeune festival, ce nouveau-né doit faire face autant aux contraintes financières qu'aux critiques d'un milieu constitué de puristes qui ne font pas de cadeaux. Peu importe, l'affiche est attrayante et l'initiative suffisamment louable pour qu'on interroge Michael Mateescu, cofondateur du festival, et Laurie Chalureau qui s'occupe du volet art et cinéma.
Time Out Paris : Quel bilan tirez-vous de la première édition du festival ?
Michael Mateescu : Ca s’est très bien passé. En fait, c’est une aventure de potes qui s’est de plus en plus professionnalisée parce qu’on a senti une vraie demande et une vraie envie pour ce genre de festival. Il y a une grande montée de la musique psyché en France et à l’étranger avec de plus en plus de groupes qui se montent. Il manquait à Paris un festival qui rassemble cette scène. En 2014, il y avait trois dates et six expos, avec entre 4 000 et 5 000 personnes dans l’ensemble du festival. Cette année, nous avons programmé six dates sur différents lieux : la Machine du Moulin rouge, le Point Ephémère, la Gaîté Lyrique…
Est-ce qu’il y a eu d’autres exemples de festival du même type à Paris ?
Michael : Il y a eu le City Sounds spécial San Francisco, mais c’était juste une édition à tendance psyché, ça n’incarnait pas le mouvement.
Aujourd’hui comme hier, le mouvement psychédélique concerne tous les genres, pas seulement le rock.
Laurie Chalureau : Oui, nous essayons d'aborder tous les styles de musique, électro, pop, rock... On trouve du psyché dans le cinéma aussi, dans l’art visuel, c’est un mouvement global qui dépasse la musique. Dans le festival, on a une expo qui débute le festival du 26 juin au 1er juillet, et puis on a projeté aussi le film des Doors à la Gaîté Lyrique le 1er juillet. On a tendance à vouloir être pluridisciplinaire, et pas se cantonner à la musique, pour montrer que le psyché se modernise partout.
Comment définiriez-vous le psychédélisme ?
Michael : c’est très subjectif, que ce soit dans l’art, la musique ou le cinéma, quelqu’un va trouver un truc psyché, que d’autres ne vont pas définir de la même façon. L’année dernière, on a programmé Zombie Zombie, et des gens nous ont dit que ce n’était pas un groupe psychédélique, alors qu’ils ont joué au Psych Fest d’Austin qui est le grand événement du genre. Pour nous, c’est psyché.
Laurie : Le psychédélisme te fait t’évader, partir en voyage. C’est la rencontre entre deux mondes, le monde réel et ton monde à toi.
Michael : C’est une question d’émotion aussi, de ce que tu ressens. Ce n’est pas évident de trouver une définition qui plaise à tout le monde.
Justement, on vous a déjà fait le reproche de ne pas assez correspondre à votre étiquette ?
Michael : Oui bien sûr ! Toute programmation est sujette à controverse, et encore plus dans un festival de niche comme nous. C’est un milieu rempli de puristes, qui ne jurent que par les Black Angels ou les Brian Jonestown Massacre, ils refusent parfois l’évolution du psychédélisme.
Laurie : Les jeunes qui ont 20 ans aujourd’hui ne connaissent pas forcément les sixties, et ils sont plus intéressés par les nouvelles formes de psyché, qu’ils peuvent s’approprier.
Michael : Il y a la génération Woodstock, qui est beaucoup restée bloquée à cette époque et qui a du mal à entrer dans la nouvelle tendance. Après, il y a aussi ceux qui ont vécu les années 1990 avec les groupes dont on parlait, notamment les Black Angels, puis tu as cette nouvelle génération qui écoute plein de choses, comme les Temples par exemple. En tout cas, le résultat, c’est une grande demande du public.
Vous pouvez nous parler de la programmation de cette année ?
Laurie : Alors à la Maroquinerie, c’est une soirée plus rock garage avec Born Bad, ensuite il y a une date plus psyché à la Machine du Moulin rouge…
Michael : Oui, le vendredi est vraiment consacré au psychédélique pur avec Clinic, les Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard, Jessica 93, qui lui est plus un dérivé. Ensuite, on a la grosse date au Trianon avec probablement un autre public, qui viendra voir The Horrors. La clôture aura lieu au Point Ephémère : c’est une carte blanche à la Femme et l’entrée est gratuite.
Laurie : L’idée, c’est de faire un aftershow, un goûter plus familial avec leurs copains, la grande fête de fin de festival en plein air.
Michael : Là encore, La Femme est un choix sujet à controverse : beaucoup de gens vont dire que ce n’est pas psychédélique, alors que le dernier album l’est totalement. Eux-mêmes qualifient leur musique de cette manière.
Laurie : mais c’est ce qui est intéressant, d’avoir des points de vue différents sur le sujet. C’est un défi de convaincre les gens avec lesquels on travaille.
Quelles sont les difficultés majeures qu’on rencontre quand on monte un petit festival ?
Michael : Déjà, c’est difficile de trouver un lieu. L’idéal en été, c’est de se consacrer à un seul lieu, en extérieur, avec une, voire deux scènes. C’est très difficile à Paris, en gros tu as le bois de Vincennes ou le parc de Saint-Cloud, et c’est financièrement compliqué à obtenir. L’autre obstacle principal, c’est ça : on n’a pas beaucoup d’argent, on n’est pas subventionnés… Sans compter les salaires des groupes, qui augmentent de plus en plus. On sent que ces dernières années, il y a une forte inflation, à cause des gros festivals qui proposent beaucoup d’argent. Les petits ont du mal à s’aligner, c’est presque une concurrence déloyale. Il faut trouver la bonne opportunité quand on veut booker un groupe important.
Laurie : Il faut des têtes d’affiche pour motiver les gens à venir. Les gens ne vont pas payer pour découvrir, en tout cas pas seulement. Surtout avec l’offre grandissante de festivals en France. C’est un combat de tous les jours pour attirer le public.
Michael : Contrairement à We Love Green ou Rock en Seine, on touche une population petite, qui en a un peu marre des festivals de grande ampleur. Les gens préfèrent venir de plus en plus dans des petits festivals, où tu n’es pas situé à 300 m de la scène et où tu ne fais pas la queue une heure avant d’avoir une bière. Dans une salle plus petite, on apprécie mieux les groupes, aussi. Dans les grands festivals, tu ne viens pas seulement écouter de la musique, c’est plus pour faire la fête. Villette Sonique par exemple, c’est un bon compromis entre scènes modestes et bonne ambiance conviviale.
Comment se passe le recrutement des artistes ?
Michael : Au départ, tu as toujours une liste de gens que tu veux avoir. Après, tu fais avec tes contraintes financières et puis avec celles des groupes. Aux Etats-Unis, tu as des groupes qui tournent à cette période-là, du coup c’est un casse-tête pour les avoir. Au final, tu n’as presque jamais les groupes que tu veux absolument, sauf si tu es Rock en Seine, et encore tu dois faire des compromis et des gros chèques. En gros, tu commences avec une longue liste, puis elle s’affine de plus en plus au fur et à mesure que tu fais une croix sur les premiers noms.
Quel groupe aimeriez-vous absolument avoir ?
Michael : Ah, les Black Angels ! Ils étaient à Villette Sonique, c’est le groupe icône du psyché. Les Jesus and Mary Chain, aussi… Des groupes qui sont très difficilement accessibles pour nous. Les groupes plus récents, c’est différent, on peut quand même les aborder.
Quelle est la place des groupes psyché à Paris ?
Michael : Tu n’as pas encore d’énorme groupe qui puisse tirer la scène vers le haut. Je pense que le plus gros groupe psyché parisien, c’est Wall of Death, qui ne fait pas plus de 500 personnes à Paris. Il y a beaucoup de petites formations très cool, mais il n’y a pas encore de locomotive, qui remplit un Trianon par exemple. Ca peut changer avec le prochain album de Wall of Death, justement. Cette année, on a quand même pas mal de groupes français sur l’affiche.
A l’inverse, vous faites aussi venir des groupes de très loin. Comment avez-vous obtenu les formidables Australiens de King Gizzard ?
Michael : Ils n’ont jamais joué en France, donc ça a été assez compliqué, mais ça a fini par se faire. Il y avait une envie du côté du public, et aussi du côté de leur management qui voulait faire une belle date à Paris. Les négociations financières ont été âpres, cela dit. Un groupe qui marche bien à l’étranger mais dont tu ne sais pas ce qu’il vaut en France, l’agent a tendance à te faire payer le prix de l’étranger sans prendre en compte que si le groupe fait 800 personnes à Londres, il en fera seulement 300 à Paris. Dans ce cas-là, tu dois trouver des compromis. Tu as des groupes anglo-saxons qui font des jauges doubles en Angleterre par rapport à la France, donc ils ont des prétentions qui ne correspondent pas à leur notoriété chez nous.
Est-ce que vous allez développer la partie cinéma du festival ?
Michael : On a envie de le faire ! Le seul truc, c’est que le public qu’on a en musique n’est pas forcément celui qui vient voir les films.
Laurie : Mais on essaye, c’est pour ça qu’on a programmé le film sur les Doors, pour rapprocher les deux univers. Après, sur du long terme, on aimerait programmer autre chose que des films musicaux, histoire de se consacrer au cinéma psychédélique, avec des projets originaux. Le chemin est un peu long parce qu’il faudra capter un public qui n’est pas le même que le nôtre.
Paris International Festival of Psychedelic Music, du 1er au 5 juillet 2015.