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Avec son sweat capuche et son humour féroce, Eric Salch est un sale gamin. En tout cas, il aime bien donner cette image, surtout sur son blog hilarant et dans sa nouvelle BD, 'Les Meufs cool', récit de son divorce et de sa redécouverte des femmes après 10 ans de mariage et trois enfants. Le style Salch (pas facile à prononcer), c'est un dessin plein de spontanéité et un regard sur tout ce qui rend l'humanité pathétique au quotidien, à commencer par sa propre personne. Eric Salch a compris que charité bien ordonnée commence par soi-même, alors il se taille un costard, se dépeint lâche, égoïste et paresseux ; il s'enlaidit, se dessine des yeux en trous de pine et un tarin plus pointu qu'une épée. « Je ne me lasse pas de me dessiner, c'est mégalo mais c'est vrai ! », nous avoue-t-il pourtant. Son nez pointu au pays des « gros nez » comme on dit, c'est sa marque de fabrique, « ça donne à mes cases un dynamisme qui n'existerait pas si j'avais le nez rond. » Surtout, tout ça lui permet ensuite de se venger sur les autres en toute impunité. Qu'on se le dise : Eric Salch n'a pas peur de tirer sur les ambulances, puisqu'il est à l'intérieur.
Time Out Paris : Quand as-tu commencé le blog « Ma Life » ?
Eric Salch : C'était en 2008. Mon pote qui s'appelle Marcel m'a parlé de blogs BD sur Internet, en me conseillant de me lancer. Je ne savais même pas que ça existait, je pensais que ce serait pourri. J'ai commencé à faire les premiers dessins, je les ai postés et je me suis pris au jeu. J'ai regardé un peu ce qui se faisait ailleurs et j'ai trouvé les autres blogs mauvais pour la plupart, il y avait beaucoup de merdes. Je me suis dit que ça allait être plus difficile d'être visible au milieu de tout ce bordel. Alors j'ai décidé de tailler les autres en disant « Hé ! je ne suis pas comme eux ! » Pour info, ce pote Marcel est devenu le héros de mes BD dans Fluide Glacial, donc la boucle est bouclée.
A l'époque, tu avais un « vrai » boulot à côté ?
Oui, je ne pensais pas du tout être publié. Mes dessins étaient plus brouillons, je ne me prenais pas la tête, surtout pas pour 20 pèlerins qui me lisaient à l'époque. Je faisais ça pour moi avant tout. C'est bien, parce que tu te sens libre et tu expérimentes. Les gens sont venus à moi petit à petit, comme Larcenet qui a édité 'Les Meufs cool', il lisait mon blog. Avant, j'étais illustrateur pour Marithé et François Girbaud, ce sont eux qui ont inventé le baggy. La boîte a coulé en 2013 et du coup je suis au chomedu. Mais j'ai décidé de ne plus faire que de la BD, d'en faire un travail. Ce n'est pas si évident ! Au départ, la BD était pour moi une distraction, je dessinais dans le RER, au boulot, je prenais de la distance vis-à-vis de ça.
Techniquement, comment dessines-tu ?
Je dessine sur des feuilles A4 photocopiées, avec un stylo acheté à Intermarché. Je les scanne et puis je fais les couleurs sur Photoshop. C'est plus simple que sortir les pinceaux et le pot d'eau, sinon ça va me saouler. Pour le trait, je préfère dessiner à la main plutôt qu'à la palette graphique, qui donne un trait trop artificiel à mon goût. J'aime bien le côté roots, BD traditionnelle.
Sur ton blog, tu es sans pitié avec toutes les faiblesses humaines, qui sont exacerbées par la cruauté de ton trait. Un dessin vif et brouillon, une bonne dose de méchanceté : ça fait penser à Reiser, mais sans la touche politique.
C'est un sacré compliment. Ma touche subversive, ce serait plutôt la critique d'un certain conformisme, de cette vie normale qu'on nous impose, avec le mariage et la reproduction à la clé... ce conditionnement vers lequel on nous pousse et dans lequel je me suis retrouvé, c'est même pour ça que j'ai fait le bouquin. Je ne donne pas de leçons, je l'ai vécu ! Et je peux te dire que je ne suis pas prêt à repartir pour un tour !
Tu as pensé à postuler à Charlie Hebdo ?
Vite fait, mais non. Pour faire ça, il faudrait que j'aille faire un petit tour à la fac, histoire d'avoir une solide culture générale, parce que si c'est juste pour faire des petits dessins à chaud [il prend une voix niaise] « c'est pas bien ce qui se passe en ce moment, ils sont méchants », tu vois... Parfois, certains dessinateurs font des caricatures qui manquent de contenu. Ou alors, ce serait le Charlie Hebdo de Reiser et Choron, l'esprit Hara Kiri. Aujourd'hui, c'est différent. Même Willem a dit dans une interview qu'il s'emmerdait pendant les réunions de Charlie et que c'est pour ça qu'il n'y allait pas.
Tu as acquis une petite notoriété l'an dernier en publiant une caricature hilarante du hipster et de la blogueuse mode, que Brain Magazine a relayée.
Même sans Brain, ça aurait marché. J'ai appelé ça « Le trou du cul 2014 », ça a tout de suite cartonné. Le dessin a tout pété, 200 000 vues environ. J'ai d'autres idées dans la même veine, mais il faut que ça me botte vraiment, je ne veux pas creuser un filon. Il n'y a pas que les hipsters, je peux aussi caricaturer les mecs qui font du tuning dans le 77 et qui écoutent Matt Pokora. On critique beaucoup les hipsters, mais je n'ai rien contre eux en particulier, les mecs ont plutôt bien réagi à mes moqueries d'ailleurs. C'est juste des types qui ont compris ce qu'il fallait faire pour serrer des meufs. Je préfère les hipsters aux petits rageux d'Internet, tout moches et énervés derrière leur ordi.
Tu as des potes qui ont peur de se retrouver dans tes BD ?
Je sais quels sont ceux qui ne veulent pas s'y retrouver, mais ceux qui sont propices à la caricature et qui s'en foutent, alors là... Pour moi, ce sont des victimes consentantes. Certains espèrent être dans mes BD, alors ils font les cons exprès pour ça, mais je ne tombe pas dans le panneau.
Comment t'es venue l'idée des 'Meufs cool' ?
Quand je me suis séparé de mon ex-femme après 10 ans de vie commune et des enfants, ça aurait pu être horrible mais en réalité je me suis senti soulagé, exactement comme dans le livre. Tout ce que je dis dans l'album est vrai ! Je me suis retrouvé tout d'un coup à rencontrer des filles après des années d'une vie de père de famille fidèle. Un moment, je suis sorti avec une ancienne copine, qui m'a dit un jour : « C'est dégueulasse, ce sont toujours les emmerdeuses qui se casent, et nous, les meufs cool, on galère ! » Dans mon cerveau, ça a fait « tilt ». Je savais que j'avais trouvé l'idée du bouquin. Elle a raison, les meufs cool attirent moins les mecs, c'est triste mais c'est comme ça.
Comment les filles réagissent-elles au bouquin ?
Hier, j'étais avec une ex qui est sur la couverture du livre, elle était contente de recevoir l'album. Parfois, c'est mieux de faire un bouquin plutôt que de continuer une relation qui ne marche pas. Elles rigolent bien, généralement. Elles savent que je ne suis ni misogyne, ni macho. Si c'était le cas, je me serais déjà fait incendier depuis longtemps. J'avais fait une BD où j'insultais les mecs qui défendent les féministes, parce que je les soupçonnais de faire ça pour choper des nanas, du coup je pensais me faire engueuler par mes copines féministes. Mais on dirait que pour elles, je dis juste de la merde, ça ne compte pas... Je ne suis pas pris au sérieux !
© EChirache
Larcenet, ton éditeur chez les Rêveurs, est aussi un célèbre auteur de BD. Quels sont les conseils qu'il t'a donnés ?
Il m'a dit d'aérer mes dessins. Il avait raison, parce que c'est important d'être lisible en BD. Il faut que n'importe qui puisse ouvrir le bouquin et se dire : « Je peux le lire. » Surtout, il m'a beaucoup soutenu, il m'a donné confiance, il m'a poussé à me lancer, comme El Diablo avant lui. A ce propos, j'ai un collectif de grapheurs avec El Diablo et Berthet One, un dessinateur qui a réalisé l'album 'L'Evasion' en prison. Comme on est tous les trois gauchers, on s'est appelé le « Left Hand Crew ». On fait des graffitis et des performances en public, sur des thèmes choisis par les gens, pour essayer de populariser la culture graf et hip-hop. A l'époque de Margerin et Métal Hurlant, on parlait de BD rock, maintenant on pourrait presque parler de BD hip-hop, mais j'ai peur que ça m'enferme dans un cliché. Je fais de la BD pour tout le monde.
Derrière tes dessins, on découvre parfois un portrait en filigrane de la banlieue. Dans 'Les Meufs cool', tu présentes ton appart en face de l'Intermarché par exemple.
Ah oui, je vis depuis toujours en banlieue, alors c'est possible. On peut aussi se moquer de la banlieue, hein, pas seulement des campagnards et des hipsters. Ca dépend juste de l'endroit où je me trouve. Je ne me sens pas enraciné dans une région ni dans un quartier spécifiques. Là où j'habite par exemple, c'est une ville de cons et c'est moche. Je n'y suis pas attaché. J'aime pas les gens qui parlent sans arrêt de leur région, [prenant une voix de vieillard] « Moi je suis attaché à mon pays ! », allez casse-toi ! Brassens parlait souvent de ces types fiers de leur petit patelin de merde dans ses chansons. Leurs villages sont jolis, mais il n'y a que des cons à l'intérieur.
Tu lis de la BD ?
Non, pas trop. J'aime bien évoquer les Daft Punk à propos de leur dernier album : ils se sont mis dans une bulle, dans laquelle ils ont coupé toute influence extérieure. Ils ont fait leur délire et ça a marché ! J'aime bien cette idée de rester dans son univers sans copier les autres, je pense que c'est comme ça que tu trouves ton écriture et ton style. A trop regarder ce que font les autres, on finit par se bloquer.
Aujourd'hui, une bonne partie de la nouvelle bande dessinée a un peu oublié sa vocation populaire, elle se veut graphique et élitiste. Ce n'est pas ton cas, tu as un côté un peu old school, qui met l'accent sur l'histoire.
C'est pour ça que je ne sais pas ce que sera mon prochain livre, parce qu'il faut avoir quelque chose à raconter. A moins d'être un mec génial, comme Hergé, qui peut imaginer des trucs à l'infini, mais bon, moi ça me ferait chier de dessiner des sous-marins. Beaucoup de nouveaux auteurs indépendants font de la recherche graphique, c'est vrai, mais je crois que ça n'intéresse pas vraiment les gens. Moi, je veux faire un truc pointu qui peut s'adresser à tout le monde. Aujourd'hui, on croit que le mainstream, ça signifie forcément que c'est nul, alors que ça peut être quelque chose de cool. Je vais encore citer Daft Punk : ils font de la musique exigeante et mainstream à la fois. Reiser, ses dessins sont très recherchés, pourtant c'est populaire. La narration ne se préoccupe pas forcément de l'esthétique au départ, mais l'esthétique découle presque logiquement de la narration. Mon style est très spontané, du coup beaucoup d'idées me viennent en dessinant. C'est un style qui peut aussi rebuter certains lecteurs, qui pensent que c'est sale et mal fait. En fait, grâce à mon dessin, j'évite tous les cons.
>>> 'Les Meufs cool' d'Eric Salch, édition Les Rêveurs, 2015. Prix : 15 €.
>>> La fanpage d'Eric Salch sur Facebook.