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Et Guillaume Marietta sauva la chanson française

Rémi Morvan
Écrit par
Rémi Morvan
Journaliste, Time Out Paris
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Deux ans après s'être affranchi de Feeling of Love, Guillaume Marietta livre en cette rentrée 'La Passagère', un deuxième album solo entièrement composé en français, de loin le plus aérien et accessible de sa carrière. Produit à Los Angeles par Chris Cohen, ce disque le fait directement entrer dans le cénacle des plus illustres compositeurs français de ces cinquante dernières années.

Le rendez-vous est pris en fin d'après-midi d'un vendredi du mois de juillet. Il vit là, en proche banlieue parisienne, là même où j'ai de nombreux souvenirs d'enfance et presque autant de réminiscences de mes premières années estudiantines. Cette fois, c'est à Guillaume Marietta que sera lié ce nouvel espace-temps. La multiplication des sens et des personnalités, l'un des traits caractéristiques de l'ancienne tête pensante du groupe Feeling of Love. Jamais vraiment le même, sans cesse en avance sur les tendances et toujours entier.

On ne sort pas indemne de l'écoute de 'La Passagère' tant les neuf titres sont des portes d'entrée vers un champ des possibles en perpétuelle évolution. Les textes sont finement écrits et rappellent les plus belles plumes francophones, faisant très vite apparaître la 'Passagère' comme un périple dans les méandres de la vie, l'esprit et l'imagination de Guillaume Marietta. Une vie et une carrière qui l'auront vu passer d'A.H. Kraken à Plastobeton en passant par Feeling of Love et devenir l'un des artistes phares de la scène rock indépendante française. Après 'Basement Dreams Are the Bedroom Cream', premier effort solo qui se plaçait dans les pas des productions garage-krautrock de FOL, le compositeur messin voit aujourd’hui sa musique s'adoucir.

Le savoir-faire de Chris Cohen

Avec un son à la pureté virginale, 'La Passagère' prend l'allure d'une grande respiration dans la carrière de Guillaume Marietta. « A force d’enregistrer et de faire des disques, j’ai appris à donner de l’air à ma musique, nous confie-t-il. De ne pas empiler les couches de guitare et de synthé pour permettre aux chansons de respirer. C’est une histoire de cuisine. Avec le temps, tu apprends à faire des choix. »

Au-delà des instruments et des effets utilisés, l'un des choix forts de Marietta est de s'être attaché les services de Chris Cohen à la production. Auteur de deux soyeux albums, le Californien s'est également fait remarquer à la production de l'album de Weyes Blood. Après avoir travaillé avec Olivier du groupe Cheveu sur le premier album, c'est un tout autre savoir-faire que Marietta est venu chercher. « Je voulais rester dans une espère de cuisine artisanale, une tambouille de maison, que ça garde un côté bricolé. En fait, juste bosser à deux. » En arrivant aux Etats-Unis, les chansons sont déjà composées et les arrangements écrits à 95%. L'apport principal de Chris Cohen ? Des prises de son impeccables et une mise en confiance. « Techniquement, il est très bon pour faire des prises de son alors qu’on a travaillé dans un studio installé dans un garage, de la taille d’un box de voiture, pointe Marietta. Il m’a ensuite apporté une atmosphère de travail couplé à un côté très doux, concentré, un peu perfectionniste. Ca a été une alchimie entre lui et moi. Il a compris très rapidement ce qu’il fallait faire. »

Des choses à dire en français

Une atmosphère nécessaire pour accoucher du disque le plus ambitieux de sa carrière, celui de sa totale mise à nue. Une production parfaite pour être le couffin dans lequel se loveraient ses textes en Français. Un virage qui trouve en partie sa sève dans son installation à Paris et sa découverte de la fourmillante scène pop francophone. Lorsqu'on évoque cette dernière avec JB Wizz, patron de Born Bad Records, celui-ci nous répond franchement : « Pendant très longtemps, le chant en français était l'apanage des gens de la variété. On nous a vendu que la langue du rock'n'roll, c'était l'anglais. De fait, beaucoup de personnes des milieux rock n'osaient pas s'y essayer. Mais aujourd'hui, ils franchissent le pas. Et je pense à La Souterraine qui a beaucoup contribué à montrer qu'on pouvait faire de très belles choses en français. »

La Souterraine, cette folle entreprise qui se donne pour mission de sortir des compilations regroupant les groupes de la « nouvelle chanson française ». C'est justement sur l'une d'elle, sortie en mars 2016, que sort la 'Grande Ville Malade'. Voilà pour le point de départ du processus d'écriture en français. Un titre qui décrit les pérégrinations apocalyptiques d'un homme et qui présente le style Marietta :

ne plus jamais dormir, qu'on me baise, qu'on me piétine
être flic, maire et clodo, sentir le kebab
pisser sur les voitures, éjaculer sur tes tatouages
que tu vomisses en te foutant de ma gueule

Avec lui, il n'y a pas de grandes histoires, les textes crus et hachés sont des émotions brutes couchées sur le papier. Le chaos est constamment présent dans cet album, la chute dramatique semble être à la fin de chaque phrase, rappelant la chevauchée de Serge Gainsbourg dans 'Melody Nelson'. La particularité de 'La Passagère' ? Pouvoir être analysée par une multitude de grilles de lecture et être comprise d'une manière différente à chaque fois. En utilisant la carte géographique, les éléments chimiques et le corps humain comme terrains de jeu narratifs, Guillaume Marietta joue habilement avec les mots afin d'exprimer ses propres maux :

immense, immense, tu trembles sous ton poids
plus loin, plus loin, tu trouveras
toujours un lieu où te crasher

tu ne t'appartiens plus, plié sous la bouche du vent
une pensée liquide, un corps effervescent ¹

La complexité Marietta

Toute personne qui se penchera sur cet album se questionnera longtemps sur sa portée véritable. Mais lorsqu'on parle de la signification de telle ou telle chanson à Guillaume Marietta, il balaie tout intellectualisme : « Je réfléchis très peu à ce que j'écris et je ne cherche pas non plus à savoir ce que j'ai voulu dire là-dedans. Je peaufine le texte jusqu'à qu'il tienne debout, un peu de la même manière qu'avec un enfant. Tu sais quand quelque chose est plus ou moins terminé et que tu peux l'abandonner. C'est de l'ordre de l'intuition. C'est inconscient et intuitif. »

Je me serais donc retourné le cerveau depuis des semaines sur des textes sans aucune portée originelle ? Voilà toute la complexité de l'art de Guillaume Marietta, à qui il aura fallu aller à Los Angeles, être produit par un Américain pour enregistrer un album entièrement en français. Rien ne l'arrête et les contrastes sont sa griffe. Prenez 'La Passagère', prenez ces jeux de miroirs entre la chaleur de la batterie ou du saxophone et le froid de la boîte à rythme, et vous saisissez l'une des caractéristiques du complexe son Marietta. De même, 'La Passagère' a beau être un disque de pop à première vue facile d’accès, il suffit de se pencher deux minutes sur les paroles pour comprendre qu'ici, il n’y a pas place pour la niaiserie et la facilité. Chez Guillaume Marietta, les projets évoluent, mais l'artiste garde le contrôle et continue d'imposer son rythme, sa patte.

« Avec ce disque, il se réalise en tant que chanteur-artiste. C'est beaucoup plus difficile d'assumer une ambition, surtout dans ce milieu rock. Le rock n'aime pas trop l'ambition », voilà comment JB Wizz décrit la portée artistique de 'La Passagère'. Ambitieux et marquant. Car écouter Marietta, ce n'est pas seulement s'assurer de découvrir l'un des albums de l'année, c'est s'ouvrir et prendre conscience de l'arrivée d'un nouveau messie. Loin de moi l'idée d'affubler des étiquettes mais tout comme lui, ce texte fut écrit comme ça, à l'intuition.

© Soren Drastrup

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En concert à Petit Bain jeudi 5 octobre 2017 (Billetterie)

¹ Extrait du titre 'La bouche du vent'

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