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« L’heure a sonné de vous transformer en César ! » Dans 'Tintin et L’Alph’art', dernier album inachevé d’Hergé, le héros à la houppette est promis à un destin atroce : mourir compressé dans une sculpture de l’artiste César. Hergé n’a pas laissé trace de comment Tintin aurait échappé à ses ennemis, mais une chose est certaine : son héros a tout de même fini dans un musée. Jusqu’au 15 janvier 2017, le Grand Palais invite les Parisiens à revisiter l’ensemble de la carrière du maître de la ligne claire, depuis son boy-scout Totor, C.P. des Hannetons, jusqu’à Tintin en passant par Jo et Zette ou encore son travail de publicitaire. Seuls les garnements bruxellois Quick et Flupke sont – à une ou deux exceptions – un peu oubliés par le menu. Dix salles thématiques pour cerner le génie de l’auteur de bande dessinée le plus commenté au monde. Le pari est osé.
Sans surprise, l’expo s’appuie sur des textes de l’écrivain Benoit Peeters, du philosophe Michel Serres et sur les fameux entretiens avec Numa Sadoul, soit le corpus le plus courant pour étudier Hergé. Il faut dire que le Grand Palais s’adresse ici au grand public, « les jeunes de 7 à 77 ans » comme indiquait le Journal de Tintin, qui viennent découvrir ce qui se cache derrière le visage lisse du héros, cet ovale sans aspérité qui permet au lecteur de se projeter dans le récit. L’histoire est connue : Hergé a formé peu à peu sa famille de papier (cf. la salle numéro 5), commençant par envoyer Tintin dans des pays dont la description est davantage fantasmée que fidèle à la réalité – on reprochera suffisamment à Hergé sa vision naïve et colonialiste de l’Afrique dans 'Tintin au Congo', son anticommunisme primaire dans 'Le Pays des Soviets'. C’est avec le 'Lotus Bleu', auquel l’exposition consacre une salle entière, dite « la leçon de l’Orient », que le dessinateur change sa manière de travailler, prenant soin de se renseigner chaque fois un peu plus avant d’entamer une histoire, à l’image de 'Objectif Lune', point culminant de ce travail de documentation. Il ira jusqu’à dessiner trois fois 'L’Ile Noire' pour ajouter plus de réalisme aux dessins et aux décors.
« Il arrive même parfois que, à force de revenir sur une attitude, je perce le papier »
Evidemment, le génie du récit hergéen pâtira de ce réalisme : comparer l’original noir et blanc de 'L’Ile Noire' avec sa troisième version démontre à quel point l’album perd son tour poétique et ses qualités esthétiques lorsqu’il est transformé par la couleur et les réclamations de l’éditeur anglais, sourcilleux lorsqu'on touche aux terres écossaises. La beauté du trait d’Hergé s’exprime le mieux à l’encre de Chine ou dans les crayonnés préparatoires. A cet égard, l’exposition présente une large collection de planches magnifiques, études au crayon où l’on visualise la citation d’Hergé disant «Je dessine furieusement, rageusement, je gomme, je rature, je fulmine, je surcharge, il arrive même parfois que, à force de revenir sur une attitude, je perce le papier », planches originales à l’encre de Chine où l’on admire en revanche la pureté de la ligne claire, d’autant plus délicate qu’il a fallu ces moments de rage pour y aboutir. Dès 'Le Pays des Soviets', le génie graphique de l’auteur apparaît par fulgurances, comme avec cette planche sur laquelle s’attarde l’expo, dans laquelle Hergé expérimente le noir et le blanc absolus, passant de la neige immaculée qui recouvre Tintin à l’obscurité totale d’une pièce sans lumière.
Même les encrages de sa série familiale 'Jo et Zette', une commande qui finira vite par ennuyer Hergé, témoignent de qualités graphiques auxquelles l’impression finale des BD ne rend pas justice. Une salle entière, « Hergé, le cœur vaillant ? », met en avant ce contraste entre le soin du dessin originel et le résultat final, symbole de l’implication d’Hergé dans chacune de ses tâches, qu’elle lui semble ou non mineure. C’est d’ailleurs avec la même application que le dessinateur réalise dans les années 1930 des affiches publicitaires dans son atelier, que ce soit pour le camping club de Belgique, un magasin de jouets ou une marque de biscuits. Dédiée entièrement à ces affiches, la formidable salle numéro 7 ravira les amateurs de graphisme : épure du trait, efficacité du message en symbiose avec le dessin, utilisation des couleurs, lettrage harmonieux, rien n’est laissé au hasard. C’est là l’une des véritables plus-values de l’expo pour le tintinophile averti, qui connaît son Hergé par cœur. Les autres découvriront une œuvre riche, immense et géniale, aux facettes aussi variées que ce mur recouvert d’albums de Tintin dans des centaines de langues différentes, du japonais au catalan. Mieux que l'espéranto, le dessin d'Hergé semble avoir permis au monde entier de communiquer.
Quoi ? • Exposition Hergé.
Quand ? • Jusqu'au 15 janvier 2017.
Où ? • Au Grand Palais.