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Oui, mais non. Alors que nous séchions à peine nos larmes depuis cette poignante interview parue voilà un mois chez nos confrères des Inrocks, coup de théâtre dans le milieu alternatif : L'Espace B ne fermera pas ! Pas besoin de faire le deuil d'un endroit comme on n'en fait plus à Paris, plus de longues tirades désespérées sur la disparition progressive des lieux culturels dans la capitale : nous pourrons à nouveau croiser le fer de nos pintes peu chères tout en se délectant d'un délicieux couscous et en profitant d'un concert. Le lieu change bel et bien de mains, passant de la rugueuse poigne de Nicolas Jublot à celle, tout aussi ferme, de Nicolas Chiacchierini (producteur de concerts) et à celle, sans doute plus douce mais qui ne manque certainement pas d'énergie, de Pauline Richaud (chargée de communication). Dès lors, les habituelles questions reviennent se bousculer au portillon de notre curiosité parisienne : quid de l'endroit ? Va-t-il changer du tout au tout ? La programmation reprendra-t-elle les codes de l'ancienne ? Pas de panique : nous sommes allés demander tout ça à ces deux nouvelles têtes.
Le 4 novembre dernier, on apprenait par une interview donnée par les anciens programmateurs aux Inrocks la fermeture de L'Espace B. Un mois plus tard, le lieu est repris. Que s'est-il passé pendant cette période ?
Pauline Richaud : Ca faisait plusieurs mois que L’Espace B devait fermer, depuis le printemps dernier en vérité. D’une part, le propriétaire ne souhaitait pas renouveler le bail et d’autre part, l’ancien gérant avait d’autres projets. Il voulait notamment monter un hôtel en Picardie. Du coup, tout le monde s’était préparé à partir : l’ancienne équipe artistique a commencé à faire les démarches pour trouver un nouvel emploi. Tout le monde était évidemment très triste, mais c’était acté. Et finalement, le propriétaire s’est en fait rétracté juste après la parution de l’article. Je pense qu’il n’a pas réussi à vendre l’endroit… En tout cas, il est revenu sur sa décision, puis le gérant également, voyant qu’il commençait à perdre un lieu qui lui tenait vraiment à cœur. Il a fait marche arrière et Hamza, son cousin, est devenu le nouveau gérant.
Nicolas Chiacchierini : Il a ensuite contacté Pauline parce que c’est une voisine et qu’elle connaît bien le lieu, puis elle m’en a très vite parlé car on a bossé ensemble au Batofar l’année dernière et que j’avais déjà organisé quelques trucs ici.
Quels sont vos parcours respectifs ?
NC : J’ai créé il y a un peu plus d’un an une association qui s’appelle Dead Boy. Au départ, on faisait seulement de la production de concerts, puis on a fait du management. En ce moment, on s’occupe de deux groupes et on a aussi commencé à faire quelques bookings. Après, L’Espace B va vraiment rester au centre de tous ces projets. Dead Boy va continuer à faire du management car on a quelques dates prévues plus un projet de festival, mais on va forcément prendre du recul et je vais me concentrer à fond sur L’Espace B.
PR : J’ai été chargée de communication au Batofar pendant un an. Avant cela, j’ai monté Souslajupe, un webzine de culture et de musique alternative. On a organisé pas mal de soirées sur Paris, donc j’ai un peu d’expérience en ce qui concerne l’organisation de soirées et de bookings. On a également co-organisé La Mona, une soirée mensuelle disco-house avec des performances de danse, qui se tient à la Java. J’ai plutôt une culture musique électronique, donc on se complète bien avec Nico. On a chacun notre petit réseau.
NC : Oui, je suis plus rock indé, garage, etc. Finalement, je me retrouve dans la continuité de ce que faisait Nico ici.
Avez-vous tout de suite accepté de reprendre la programmation ?
PR : Notre seule condition était que tout se passe bien vis-à-vis l’équipe artistique en place. A vrai dire, on ne savait pas trop comment ils allaient réagir, mais on a vu qu’ils avaient tous retrouvés du boulot et qu’ils étaient plutôt contents qu’on reprenne la programmation en respectant leur travail. Ca les a plutôt rassurés et nous aussi.
NC : J’avais surtout peur la réaction de Nico. Comme tout le monde, j’ai halluciné devant l’article des Inrocks car en le lisant, il était impossible d’imaginer que tout ça puisse reprendre un jour. On a très vite organisé un premier rendez-vous avec lui et Cécilia (Cécilia Sparano, ancienne chargée de communication de L'Espace B, nda), qui s’est bien passé. Après, c’est un projet qui nous tient très à cœur car on habite tous les deux dans le quartier.
© Emmanuel Chirache
Pour beaucoup de personnes, L'Espace B est un lieu symbole de l'alternatif parisien. Son identité est très forte. Est-ce excitant ou flippant ?
NC : Les deux vont ensemble : l’excitation amène du stress et le stress nous garde éveillés la nuit car en ce moment, on bosse à fond.
PR : On a eu très peu de temps pour faire toute la programmation du premier trimestre 2016, on travaille encore dessus d’ailleurs.
NC : Même si on a de belles choses, on est sur les rotules. Je dois dormir trois heures par nuit en ce moment. En plus, maintenant que l’info est officielle, on va avoir encore plus de retours et donc plus de stress, donc plus d’excitation.
PR : Enfin, beaucoup d’excitation quand même. Personnellement, je suis vraiment contente que L’Espace B reste ouvert. J’étais très triste quand j’ai appris la nouvelle : je vis dans ce quartier depuis quatre ans et c’était vraiment mon Q.G. J’y allais tout le temps y boire des coups avec mes voisins, mes colocs, mes amis. C’est un lieu important pour ce quartier qui n’est pas très animé, ça fait une lumière sur la rue et ça rassure les voisins, qui sont d’ailleurs plutôt contents que l’endroit existe. Cet endroit est très convivial et il change d’atmosphère à chaque moment de la journée : le midi, beaucoup de gens des bureaux viennent manger leur couscous, puis vers 13/14h ils viennent boire leur café/calva, puis leur deuxième, puis les bouchers du coin viennent prendre leur café, etc. Et le soir, avec les concerts, ça se transforme. En fonction de l’orientation musicale, la faune qui vient est souvent différente, c’est très riche. La convivialité reste le maître-mot pour les gérants et toutes les personnes qui travaillent ici.
Quelle est votre ligne directrice par rapport à la programmation ? Un article de Télérama fait état d'une volonté de « décloisonnement ».
PC : On va garder quelques labels avec lesquels L’Espace B a travaillé. Ensuite, on a envie d’ouvrir le lieu sur le quartier. Très peu de personnes habitant ici viennent aux concerts, certains ne savaient d’ailleurs même pas qu’une salle existait. On aimerait bien apporter quelque chose de plus local au lieu, pourquoi pas faire quelques cartes de réduction pour les habitants du quartier.
NC : Notre but n’est pas de faire une salle de concert dans le 19e qui pourrait exister à Bastille. On aimerait une vraie identité de quartier, une vraie salle du 19e, pas une nouvelle Mécanique Ondulatoire ou un nouveau Pop-Up du Label. Après, la programmation restera assez pointue.
PC : On a aussi fait appel à de nouvelles organisations qui n’ont jamais bossé ici et dont l’identité nous intéresse.
© Emmanuel Chirache
L'article parle également d'un développement de l'offre de restauration. Allez-vous également vous en occuper ?
PC : Ce sont surtout les gérants qui vont se charger de cette partie-là, même si on va y réfléchir tous ensemble, de façon collégiale. On est indépendants sur la programmation mais on peut avoir notre mot à dire sur l’offre de restauration, de bar, de déco. En fait, on n'a envie pas envie d’être séparés des différentes équipes, on veut être tous ensemble.
NC : Oui, on ne veut pas que les gens qui viennent ici pour les concerts ne fassent que traverser le resto pour repartir juste après. On aimerait que ça soit homogène à l’intérieur, que les gens voient L'Espace B comme une entité entière et pas juste une salle de concert à l’arrière d’un bar.
PC : Hamza veut vraiment redynamiser le lieu. On va également revoir un peu l’accueil, ce qui va nécessiter quelques travaux. Des loges seront construites, ça va donc changer la donne vis-à-vis des artistes et des personnes qu’on invitera. On va refaire un peu de peinture, acheter du nouveau matériel. Le lieu va donc fermer environ une semaine vers Noël pendant ces travaux.
NC : On va aussi continuer les expos mises en place par Nico et Cécilia, avec une première le 6 janvier. Cette date marque la première soirée de la nouvelle équipe car il y aura également un concert. On expose Oscar Mather, un étudiant en architecture et un graphiste qui faisait toutes les affiches de Dead Boy. C’est du dessin très psyché, souvent en noir et blanc.
Y a-t-il des artistes que vous souhaitez absolument faire venir ?
NC : Beaucoup ! Après, on est encore en négociation avec pas mal d’artistes, donc on ne peut pas trop en parler. On va quand même avoir de très belles choses à annoncer, notamment les Abigails, un groupe garage signé sur Burger Records qui vient à Paris en juin. C’est vraiment un coup de cœur, je suis super content de pouvoir les faire jouer à L’Espace B. On aura aussi du psyché avec Throw Down Bones, le nouveau projet du guitariste de Underground Youth qu’on avait déjà fait venir au Batofar.
PC : Pour la partie électro, on est en pourparlers avec beaucoup de labels qui voudraient faire des formats live et non des formats club. C’est très excitant. Enfin, les éditions Supernova feront ici-même le lancement du prochain numéro de leur revue Jungle Juice, avec une expo, peut-être des projections, un concert, etc. Ca va être très chouette.
NC : Et sinon, j’adorerais faire jouer GUM, le projet de Jay Watson, claviériste de Tame Impala. Ils ne sont jamais venus en France et c’est vraiment très bon.
Une Dernière Danse est prévue demain à L'Espace B. Faut-il quand même y aller malgré tout ?
NC : Oh oui, bien sûr ! Il faut y aller. Ils ont fait une super programmation, avec des groupes qu’on voit rarement sur Paris, un tournoi de ping-pong, etc. Puis nous, on y va ! A la fois pour annoncer notre programmation et pour les remercier. C’est important que les gens se rendent compte du travail qu’ils ont fait dans cette salle : en la reprenant, on profite vraiment du super boulot que Nico et ses équipes ont fait pendant quatre ans. C’est une salle que les gens connaissent bien mieux, ils y viennent beaucoup plus facilement et les groupes également. C’est important de leur rendre hommage.
Et nous, on y sera aussi.