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Mince et nerveux, les cheveux lissés en arrière, des tatouages des mains à la tête : le chef Guillaume Sanchez n’a pas attendu de passer dans "Top Chef" pour se faire remarquer. Par son attitude peut-être, par son talent certainement.
Rencontre dans son restaurant Nomos.
A 26 ans, Guillaume Sanchez cuisine déjà depuis la moitié de sa vie. Une enfance près de Bordeaux en caserne, où il ne se destine pas spécialement à faire de la pâtisserie. « Enfant, je n’étais pas gourmand du tout. La pâtisserie, c’est le fruit du hasard. » A la sortie d’une réunion il déclare à son père qu’il veut être Compagnon, « un peu pour emmerder le monde ». S’en suivra alors une formation de deux ans à Bordeaux puis le tour de France des Compagnons, une formation où les jeunes bougent de ville en ville en travaillant en apprentissage. Pour lui ce sera Bordeaux, Marseille, Nîmes, Paris. En parallèle il passera tous les diplômes : CAP, BTM, BM et aussi les concours de meilleur apprenti de France et les Olympiades du métier. « J’ai toujours aimé la compét, je faisais beaucoup de sport quand j'étais gosse. Ce métier là c’est un véritable sport, tu dors peu, tu as rythme soutenu, il faut prendre soin de toi ou tu ne fais pas de vieux os. »
Ce rythme, le jeune pâtissier le maintient lorsqu’il arrive à Paris, d’abord chez Arnaud Delmontel, puis chez Ladurée, Dalloyau puis Fauchon. « Je bossais comme un fou de 6h à 22h. »
« Il ne faut pas oublier qu’à cette époque la pâtisserie était une voie de garage »
De ces années d’apprentissage chez les Compagnons, il ne garde pas de souvenir d’amitiés fortes. « Je n’avais aucun rapport avec ces gens. A part le fait que je me donnais à fond dans le job. Il nefaut pas oublier qu’à cette époque la pâtisserie était une voie de garage, les gars sont pas des prix Nobel de philo ! Enfin moi non plus, en même temps » conclut-il en rigolant.
Pas un prix Nobel de philo peut-être, mais en tout cas assez malin pour choper à 20 ans un job de consultant en pâtisserie, soit parcourir le monde pour aider les restaurants, les pâtisseries, les palaces, sur leurs offres de pâtisserie. Il ouvrira ensuite son salon de thé Horror Picture Tea, mêlant gâteaux, tatouages et musique, lieu dont il ne nous dira rien : « Ce n’est pas intéressant. »
Alors qu’il est en discussion pour acheter une pâtisserie, l’affaire lui passe sous le nez au dernier moment. On lui propose alors de reprendre l’ancien Chéri Bibi dans le 18e : « C’était trop petit pour en faire une pâtisserie, j’ai décidé d’en faire un resto. »
C'est comme ça que naît Nomos. Et aufait, est-ce que ça n'est pas trop compliqué de se lancer dans la cuisine alors quand on est pâtissier ? Guillaume Sanchez nous regarde impassible « ben non pourquoi ? ». Compliqué parfois de comprendre le cheminement de ce chef qui dit ne pas être « pas gourmand » mais dont la cuisine est généreuse. « C’est une légende urbaine que les pâtissiers passent leur temps à bouffer, tu fais quelque chose à bouffer pour quelqu'un, pas pour toi. »
Sa carte, il la construit en fonction de ses producteurs. Effectivement son canard sauvage, comme son agneau à la carte le soir où nous sommes venus y dîner, sont incroyables. Aussi grâce à la façon dont ils sont cuisinés, avec des alliances parfaites, donnant des assiettes hyper travaillées et pourtant sans fioritures. « La construction se fait de façon hyper logique pour moi, c’est comme un mec qui fait de la musique, il sait quelles notes vont ensemble. Pour moi cuisinier est un métier de culture. »
« Je leur servirais une omelette, ils trouveraient ça extraordinaire »
Le chef officie dans sa cuisine ouverte, calmement, précisément. Ce soir là, quasiment que des couples dînent en le regardant. Des spectateurs de "Top Chef" ? « En ce moment il n’y a que ça, je leur servirais une omelette, ils trouveraient ça extraordinaire. » On s’étonne un peu de voir ce jeune homme plutôt du genre radical participer à ce genre d’émission de téléréalité : « C’est eux qui sont venus me chercher, ça fait trois ans que je refuse. Mais d’un coup j’ai découvert l’Urssaf. » Si rentable de passer à la télé ? « J’ai augmenté de 150 % mon chiffre d’affaires, je suis complet midi et soir, sur les deux services. » On lui demande si il ne se sent pas de temps en temps comme une bête de foire : « Quand on ne veut pas être vu, il faut pas se montrer. » Pas con.
Il semble d’ailleurs très bien maîtriser son image : « Quoi qu’il arrive, il faut montrer sa gueule. Aujourd’hui on est dans un métier qui a une telle concurrence que même si tu fais de la très bonne bouffe, il suffit qu’un nouveau resto ouvre pour qu’on t’oublie ». Guillaume Sanchez est tellement hyperactif et ambitieux qu'on a du mal à l’imaginer toujours au même endroit dans un an : « Je ne voudrais pas être dans ce Nomos actuel. Ce resto je le compare souvent à une première bagnole, maintenant je veux passer au modèle au-dessus. » Rêve-t-il d’étoiles ? « Tous les chefs en rêvent. »
Guillaume Sanchez sera dimanche 5 mars au matin sur la scène d’Omnivore où il revisitera le saumon à l’oseille. « C’est un pied de nez à tous ces journalistes qui disent que je ne respecte pas mes pairs, que je suis iconoclaste. J’ai quand même grandi en caserne et j’ai fait les Compagnons du devoirs... » Iconoclaste, on ne sait pas. Ce qui est certain, c’est qu’il aime être là où on ne l’attend pas. Son prochain projet ? Edificio : une sandwicherie cubaine.