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J’irai manger (des ceviches, du mafé ou des pâtes fraîches) chez vous

Écrit par
Zazie Tavitian
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Mercredi 20h : j’ai rendez-vous à la Goutte d’Or pour dîner chez Annarita. Si je sais déjà ce que je vais manger (un repas italien de la région des Pouilles), je ne sais pas encore avec qui, ni dans quel environnement. C’est le concept des dîners organisés par l’association Ile du monde : découvrir une gastronomie et, à travers elle, une nouvelle culture en dînant « chez l’habitant ».

Ces dîners, lancés à Paris récemment, font partie d’une démarche sociologique plus globale : répertorier et faire connaître aux Parisiens des savoir-faire traditionnels issus de l’immigration, implantés en Ile de France. C’est Pepe, 35 ans, Espagnol de Valence, qui a monté l’association en 2012, rejoint depuis par Carlo, Simone, Daniele, Frida et Stéphanie.

« La gastronomie parle à tout le monde, c’est un prétexte pour franchir des barrières intellectuelles, la majorité des gens sont gourmands. »

L’idée, pour ces jeunes issus de l’immigration en majorité anthropologues, était alors de comprendre comment vivaient ces communautés qu’ils côtoyaient régulièrement sans pour autant bien les connaître. Leurs recherches se sont élargies au fur et à mesure du temps, grâce notamment aux enquêtes pour le ministère de la Culture sur « les pratiques culturelles franciliennes issues de l’immigration ». Ils ont ainsi travaillé sur nouvel an chinois ou le chant polyphonique géorgien, un peu sur le même modèle que l’Unesco et sa sauvegarde du patrimoine immatériel mondial.

Carlo, Italien de la région de Salerno (près de Naples), s’occupe de développer le côté gastronomique de l’association. L’idée de départ ? Trouver des (bons) cuisiniers amateurs migrants, prêts à cuisiner des plats de chez eux pour des événements particuliers, des cours de cuisine ou lors de dîners à la maison : « La gastronomie parle à tout le monde, c’est un prétexte pour franchir des barrières intellectuelles, la majorité des gens sont gourmands. » Le projet lancé il y a un an connaît très vite un grand succès auprès des cuisiniers amateurs. « On s’est dit : "Si on a quatre ou cinq cuisiniers intéressés, on lance le site et on a eu rapidement vingt-cinq personnes." »

C’est en cherchant une formation de pâtissière à la Maison des Associations que Annarita a découvert l’association. Elle a participé au premier événement, en septembre dernier, lors de la fête de la gastronomie. Un grand repas organisé au bar Les Ecuries où trois cuisinières réalisaient des plats de leur région pour une centaine de convives : « Un vrai challenge de cuisiner pour autant de personnes pour des cuisiniers amateurs », raconte-t-elle.

« Parmi les migrants en situation défavorisée, certains ont un savoir-faire particulier très rare »

Ce soir-là, dans son petit appartement du 18e, la grande table est dressée dans la chambre de sa colocataire. Se succèdent sur la table : poulpe au citron, parmigiana (sorte de moussaka aux aubergines, fromage des Pouilles et tomates) et des délicieux beignets feuilletés à la crème, les sporcamussi (ou littéralement « se salir la bouche » en dialecte des Pouilles). Les plats arrivent sous les acclamations des convives : un couple de trentenaires géomètre et géographe, un homme venu seul qui se rappelle de son voyage en Italie avec émotion et essaie sans succès de convertir les autres invités au plaisir de la série 'Plus belle la vie' et une jeune prof de sociologie. Tout le monde a ramené du vin et l’ambiance se détend rapidement. Un repas qui vaut haut la main un dîner au resto, la convivialité et la découverte en plus et à un prix (20 €) raisonnable reversé dans sa quasi-totalité à l’hôte.

Une dizaine de cuisiniers, via l’association, proposent ainsi des repas chez eux. Vous pouvez par exemple manger des currys, des biryanis ou des samossas, chez Theovene, Sri Lankaise arrivée en France il y a vingt-cinq ans, pour fuir la guerre civile. Des féroces d’avocat, arrosés de punch coco chez Catherine, Martiniquaise haute en couleur ou des ceviches & Pisco Sour chez Rodolfo Muñoz, percussionniste, fou de musique et de cuisine, né à Lima. Pour ça, vous choisissez sur la page du site le repas, le jour ou la cuisine qui vous convient le mieux et vous réservez.

Dans un futur proche, les membres de l’association aimeraient pouvoir aider les cuisiniers qui le souhaitent à s’intégrer dans une démarche professionnelle plus globale, comme avoir accès à des formations dans des centres culinaires ou réaliser des projets de création d’entreprise bien précis. Le prochain en date sera sans doute d’aider Oummou, Française d’origine sénégalaise, à monter son entreprise de pâtisseries franco-sénagalaises. Ile du monde organise également depuis le début du mois tous les mardis et mercredis au bar Les Ecuries des Apéros-Voyages, avec des assiettes à partager (en mars, le Sénégal, le Maroc, le Sri Lanka, l'Italie et le Mali sont au menu.)

« Parmi les migrants en situation défavorisée, certains ont un savoir-faire particulier très rare et n'ont malheureusement ni la capacité de l’exploiter et ni même celle de le manifester, ils n’ont même pas conscience que cela peut être un atout », rappelle Pépé. Dans un discours ambiant sur les migrants rarement positif, l’initiative d’Ile du monde a de quoi réjouir.

Plus d'informations sur le site de l'association.

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