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Plus fort que Jack Bauer et ses vingt-quatre heures pour sauver l’humanité : la Nuit des Idées et ses huit heures pour changer l’avenir. Ou, tout au moins, « imaginer le monde de demain » entre 18h et 2h du matin. Désireux d’ajouter son nom à la liste des intellectuels bâtisseurs du futur comme de se frotter à l’érudition d’intervenants prestigieux (l’ancien ministre de la Justice et avocat Robert Badinter notamment), Time Out a donc infiltré le Quai d’Orsay mercredi 27 janvier, une fois la nuit tombée. Enfin, infiltré en toute légalité bien sûr, il s’agit du ministère des Affaires étrangères tout de même !
Passé les portiques de sécurité et réfugié à l’abri du froid sous les dorures ouvragées de l’édifice, il convient de jouer des coudes pour se frayer un chemin à travers les différentes salles ouvertes au public. Il faut dire que pour sa toute première édition française – qui sera déclinée à Tokyo, New Delhi ou encore Berlin tout au long de l’année 2016 –, la Nuit des Idées a eu un succès retentissant. En témoigne la file d’attente aux abords, se répandant jusque dans les rues adjacentes. Une affluence dont on ne peut toutefois que se réjouir puisqu’elle prouve la soif de savoir de nos concitoyens et leur engouement pour la culture du débat. Une culture gratuite et donc mise à la disposition à tous, ce qui n’en est que plus louable.
© C.Gaillard
Après avoir feuilleté le programme distribué à l’entrée, direction le grand escalier de pierre et son niveau supérieur où un colloque intitulé « Quelles circulations ? » va bientôt commencer. Deux conférences tripartites aux thèmes actuels et variés ont en effet lieu toutes les heures, en simultané, une à l’étage, l’autre au rez-de-chaussée. A nous de choisir celle qui nous intéresse le plus ou de naviguer entre les deux si nous ne parvenons pas à nous décider. Dilemme cornélien, notre cœur balance. Finalement, nous assisterons au dialogue rassemblant autour du même micro la réalisatrice de documentaires franco-tunisienne Hind Meddeb et la politologue Catherine Withol de Wenden. Avant de faire un saut à « Quelles frontières ? », plaçant en face-à-face les historiens français et camerounais Patrick Boucheron et Achille Mbembe. Car là est toute la particularité de ces débats, animés avec plus ou moins de conviction par des journalistes de France Culture, RFI ou du Monde : faire deviser un expert tricolore avec un homologue étranger. Histoire de rappeler que le monde de demain, et même d’aujourd’hui, doit s’inscrire dans une dimension internationale et être synonyme d’ouverture.
© C.Gaillard
Après trois-quarts d’heure de réflexions éclairantes mais aussi, parfois, de discussions fastidieuses – quand certains intervenants enfoncent, à grands coups de phrases alambiquées, des portes ouvertes –, on part se dégourdir les jambes. La migraine nous guette mais ce n’est pas le résultat d’une surchauffe neuronale, seulement l’entêtant parfum du massif bouquet d’orchidées blanches à côté duquel nous étions assis. Juste le temps de prendre ensuite un café au bar à eau ou une collation au food-truck établi dans le jardin afin de pouvoir veiller jusqu’à l’aurore et notre marathon cérébral effréné se poursuit dans la salle « Lire l’avenir » où des écrivains issus de la nouvelle scène littéraire délivrent des passages de leur cru ou des poèmes de Rimbaud. Quelques-uns déchiffrent maladroitement le texte sous leurs yeux, d’autres font carrément le show devant un parterre de curieux, assis en tailleur sur les tapis cachant le parquet en point de Hongrie, tels des enfants fascinés par un conteur habité.
© C.Gaillard
20h. Voilà que c’est déjà l’heure d’une nouvelle controverse dans la galerie principale. La thématique : « Quelle citoyenneté ? » Invités, Pierre Rosanvallon et la sociologue néerlando-américaine Saskia Sassen s’apostrophent avec courtoisie sur une problématique terriblement brûlante à l’heure d’une possible déchéance de nationalité. Un débat enlevé qui pousse à s’interroger. Tout comme la rencontre suivante entre Robert Badinter et Stephen Breyer, membre de la Cour Suprême américaine, suscite une véritable réflexion sur la justice et la façon dont elle sera rendue dans les années à venir.
En quittant le décor opulent du ministère des Affaires étrangères à une heure tardive, on sait ainsi qu’on ira se coucher moins bête, nourrit des connaissances que certains savants ont bien voulu nous transmettre. Mais aussi plus impliqué dans le sort futur de nos sociétés. Car la lucidité et la cognition sont déjà un premier pas vers l’action.