[title]
Si aujourd'hui, le moulin de la galette est le dernier moulin à vent en état de fonctionner à Montmartre, il y en eut autrefois jusqu'à trente sur la butte. Parmi les meuniers du coin, la famille Debray gérait presque tout. A chaque période des blés, celle-ci faisait appel aux paysans et saisonniers parisiens qui montaient à Montmartre pour venir travailler. En échange, pas de paye, mais une galette de seigle et un verre de lait. Un plat frugal suffisant pour attirer pas mal de monde, si bien que des guinguettes et des cafés ont commencé à s'ouvrir, début d'une ère de faste qui aboutira à l'annexion de Montmartre par les notables parisiens et culminera avec la création du Moulin Rouge.
C'est avec cette histoire locale que le chef pâtissier Gilles Marchal a voulu renouer en créant sa Compagnie Générale de Biscuiterie, rue Constance. « Nous avons voulu reproduire l'ambiance artisanale qui régnait à Montmartre avant que ça devienne un quartier parisien », nous explique le chef, déjà propriétaire d'une pâtisserie rue Ravignan. « A l'origine, Alain de la Rochère, qui va ouvrir le Bistrot de la Galette face au moulin, voulait que je le fournisse en galettes feuilletées à base de sarrasin et de seigle. Du coup, on a créé cette seconde boutique, une biscuiterie avec un espace de cuisson ouvert et visible. »
Cachée dans une rue perpendiculaire à la rue Lepic, la boutique ne manquera pas d'attirer comme des zombies les touristes et les riverains, grâce à l'odeur des biscuits qui patientent au four. « Cuit deux fois, c'est l'origine étymologique du biscuit, décrypte Gilles Marchal. Il y a une pré-cuisson qui peut être toute simple comme pour la génoise : on cuit d'abord les œufs à 40° avec le sucre au bain marie, et ensuite on mélange avec la farine, puis on met tout dans le moule beurré et on cuit au four. » Pas besoin de chauffer à haute température, une basse cuisson permet au sucre de caraméliser et au beurre de conserver ses saveurs. Ainsi, le biscuit est « sableux », il se conserve bien et fond dans la bouche.
Pas de créations rocambolesques et rococo chez Gilles Marchal, plutôt une culture intelligente des basiques déclinés en différents parfums, à l'image des financiers aux noix, à la pistache ou à la cardamome, ou encore un art de la débrouille qui a toujours fait ses preuves en cuisine. Exemple ? Les rognes, des biscuits en losange au sucre cassonade créés à partir des chutes, appelées rognures dans le jargon pâtissier, faites dans la feuille de pâte lorsque les artisans travaillent à l'emporte-pièce pour découper des ronds ou des carrés. Un délice. Gilles Marchal retravaille aussi des recettes anciennes ou désuètes, comme ses extraordinaires arlettes qui réclament trop de patience pour être rentables, ou encore les kipferls, ces sablés d'Alsace très riches en beurre, qu'on coupe, qu'on cuit et qu'on roule dans le sucre vanillé.
Il faut dire que la botte secrète de ce Lorrain né à Lunéville, c'est son histoire familiale. Biberonné aux bons desserts de sa grand-mère qui récupérait la crème du lait bouilli pour en faire des gâteaux, le pâtissier est tombé dans la potion magique du sucré, et il a remis sur le métier son ouvrage pendant des années en travaillant pour les plus grands restaurants et hôtels. « Il faut maîtriser au moins quinze ans les bases du métier, conseille-t-il aux plus jeunes. Ensuite il faut réfléchir à l’état d’esprit, à l’identité personnelle de votre métier. Bien sûr, on peut toujours prendre des bouquins et recopier les recettes, mais aujourd’hui il faut créer des produits en permanence, dans une démarche d'authenticité. » Faire des biscuits, ce n'est pas de la tarte, en somme. « Dans ma biscuiterie, on voit les fours, les gens qui travaillent, insiste Gilles, on n’est pas aux Galeries Lafayette ou à Monoprix, avec tous les produits joliment alignés. »
Le travail n'explique pas tout, il faut également savoir dénicher les bons produits. Ici, on ne cède pas totalement à la tentation du bio (même si certains produits possèdent le label), parce que ce dernier ne rime pas forcément avec qualité ni avec artisanat. En revanche, Gilles Marchal est exigeant et fidèle aux producteurs qui le fournissent depuis longtemps. Son beurre est un AOC du Poitou-Charentes, sa vanille Bourbon de Madagascar, son chocolat de marque Valrhona et ses fruits frais. Seul nouveau venu dans la famille, le meunier de quatrième génération Gilles Matignon, qui l'approvisionne en farine bio depuis la Seine-et-Marne. « C'est un passionné fou furieux, décrit le pâtissier, il n'a plus de main droite parce qu'elle est passée dans la meule. Il ne voulait pas travailler avec Paris au départ, il avait des a priori, mais on s’est rencontrés et il a changé d’avis parce qu’on était sur la même longueur d’onde. Je ne peux pas utiliser un produit si je ne connais pas l’homme et son histoire. »
Pendant que l'assistant pâtissier Hassan charbonne au four et au moulin, les premiers clients entrent, attirés par leur flair. « A Montmartre, tout se sait vite », rigole Gilles Marchal, qui peut s'enorgueillir de proposer la seule véritable pâtisserie artisanale à Montmartre et la seule biscuiterie de Paris. Un service qui se monnaye plus cher que dans les boulangeries habituelles, mais pas tant que ça. « Nous sommes des artisans, mais aussi des commerçants, remarque le Lorrain. D'ailleurs, je préfère commerçant que commercial, parce qu'on ne pousse pas à la consommation, on veut faire découvrir des produits, des traditions, un savoir-faire et de la fraîcheur. »
Quoi ? • La Compagnie Générale de Biscuiterie, 1 rue Constance, Paris 18e. Du mardi au dimanche, de 11h à 18h. Prix : 6,50 € le sachet. Téléphone : 06 19 63 18 76.