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« On vit dans des boîtes et on va mourir dans une boîte, donc si c'est pour encore danser dans une boîte ! » ; « Il s'est déguisé en gentrifié » ; « C'est pas bien l'alcool, oh là là c'est maaal. » Des paroles comme celles-ci, prononcées au début du nouveau clip de La Femme, on les entend souvent dans les troquets de « S.S.D ». SSD, c'est Strasbourg Saint-Denis bien sûr, le quartier où beaucoup de Parisiens vont faire la fête le soir venu.
Comme leurs camarades du même âge, les musiciens de La Femme traînent souvent leurs guêtres là-bas et ils ont logiquement décidé d'écrire un hymne à leur QG. Résultat, une sorte de délire éthylique en images, de collage brillant et psychédélique dans lequel un paquet de gens vont se reconnaître. A Time Out Paris, on a un peu l'impression de regarder un miroir de nos soirées, à l'exception du côté partouze évidemment. Pour le reste, c'est assez fidèle : les errances dans les rues du faubourg Saint-Denis, de l'Echiquier, d'Enghien, des Petites Ecuries, Paradis, du Château d'eau ; les pintes de bière dans les bars du coin ; l'arrêt au stand de l'épicerie pour une canette de Maximator ; le kebab de 2h du matin ; la petite virée dans un club ringard du quartier.
Les aficionados de S.S.D reconnaîtront d'ailleurs certains lieux de tournage : le fameux bar le Mauri7 apparaît plusieurs fois et on aperçoit le libraire Boulinier et le club le Memphis en arrière-plan, mais l'endroit le plus culte qui prend une large place dans le clip s'appelle le Starnight, une boîte gratuite et décontractée de la rue des Petites Ecuries, connue pour passer des tubes faciles à danser. Pas très chic, pas très cool, mais idéal pour s'amuser. Les couleurs du clip sont vives, excessives notes de rose, de rouge, de bleu, dans une farandole qui semble filmée à l'épaule par un caméscope numérique des années 1990.
Avec leur clip "Où va le monde ?", La Femme avait déjà filmé Paris avec ce même réalisme cru, en s'attachant aux détails les plus prosaïques de leur vie quotidienne : pharmacies, vaisselle, cafés parisiens, bars de quartier, trottoirs sales, arrière-cours, boulangeries... De la même manière, "S.S.D" réussit le pari de transcender la narration autobiographique, de saisir l'esprit du temps tout en soulignant les invariants qui parcourent chaque génération : comment s'approprier le décor urbain ? Comment supporter de vivre seul alors qu'on y est entouré d'autant de personnes ?
Et il faut reconnaître que ça marche. Certains auront beau leur reprocher de chanter faux, de se comporter avec nonchalance, d'être des bobos ou pire, de ne pas faire de rimes dans leurs chansons - quelle connerie, La Femme a fait de ces défauts des qualités. Ils ne sont pas nonchalants, ils sont élégamment indolents, ils ne sont pas bobos, ils sont urbains, ils ne font pas de rimes, mais une étonnante logorrhée en prose, du latin prosa, « façon de parler simple et directe ». Leur musique provient du fond des âges yéyé, mais elle s'inscrit aussi dans cette relation douce-amère que la jeunesse des groupes new wave et alternatifs a toujours entretenu avec Paris, de la "Salle du bar tabac de la rue des Martyrs" de Pigalle à "Paris" de Taxi Girl, en passant par "Adieu Paris" des Fils de joie. La Femme nous tend un miroir dans lequel on rit de se voir si moche.
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