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Au cœur de Paris, la Société secrète des joueurs de musique indienne offre un moment intense d'émotions, entre contemplation et harmonies parfaites.
Il est 20h. Les clients du Social Club ou du Silencio s'apprêtent encore ou croquent un morceau avant la soirée qui s'annonce bruyante et gaie rue Montmartre. Dans une petite rue perpendiculaire assez quelconque, des policiers font les cent pas devant leur commissariat. Non loin, Le Macareux, bar à l'intérieur discret, tamisé et chaleureux, fait tourner la tête des passants : d'ordinaire, point de bistrot dans cette rue où se trouvent seulement un restaurant et un pub. « Nous ne voulions pas d'un bar "normal". Notre souhait était de créer un véritable lieu de rendez-vous culturel, où les arts et les gens se rencontrent ! D'ailleurs le réseau téléphonique passe mal ici, cela oblige les gens à se parler ! » sourit Florence, propriétaire du lieu.
Mais ce soir Le Macareux a ouvert ses portes pour accueillir tablas (percussions), tampura (instrument à corde), flûte bansuri, esraj (violon du Bengale) et leurs propriétaires respectifs. Tous les mois depuis octobre 2015, la Société secrète des joueurs de musique indienne se donne rendez-vous dans cet espace improbable, dont la cave est agencée pour accueillir une trentaine de personnes. « Depuis des années, je cherche un lieu où praticiens et amateurs de musique classique indienne peuvent se retrouver dans l'esprit même de cet art », explique Denis Teste, co-fondateur de l'association ECHO et de la Société secrète. « L'idée n'est pas de se produire, car il existe déjà des salles pour cela. Nous voulions vraiment recréer un espace d'échanges bienveillants, de discussion et de partage, à l'instar de ce qui existe en Inde » souligne ce musicien parisien pluridisciplinaire, praticien de sitar depuis 15 ans.
© Edith Nicol pour ECHO
Loin d'être réservée à une élite composée de musiciens ou de spécialistes, la Société secrète est ouverte à tous, amateurs de musique indienne ou novices, désireux de s'initier au raga (cadre mélodique) dans une atmosphère apaisante, proche de la tradition du bandish, qui en hindi signifie littéralement se lier ou tisser des liens. « Les praticiens de musique indienne sont souvent isolés. C'est l'occasion pour eux de pouvoir se rencontrer, jouer ensemble. Ce genre musical demande un très long apprentissage, continu, d'où l'importance de pouvoir échanger. C'est une pratique très différente de la musique occidentale où les œuvres ont des auteurs attitrés, avec un début et une fin, où le public sait à quoi s'attendre. Ici nous sommes perpétuellement dans la magie de l'imprévu, dans la rencontre musicale entre les instruments » souligne Denis Teste. De fait, rappelle ce spécialiste, ces derniers sont conçus pour être utilisés dans un espace intimiste, un appartement ou la maison des maîtres de musique, les guru qui entretiennent une relation étroite, quasi spirituelle, avec leurs élèves.
L'espace d'une soirée, la cave du Macareux se transforme ainsi en salon de musique indienne. Alexandre Jurain, violoniste d'esraj, apprenti à Santiniketan, au Bengale et de passage à Paris, entame un palabre en solo, appuyé par le tampura d'Harjit Singh. Il est peu à peu rejoint par les tabla de Guillaume Renaud dans un dialogue tantôt endiablé tantôt apaisant. Le public, varié, est au rendez-vous, envoûté par la délicatesse des instruments et la maîtrise des musiciens. « Le raga est un art que l'on "rend" à l'audience, que l'on partage. Il s'agit d'un moment intense en émotion qui implique une dimension physique de la musique. En Inde, j'ai déjà vu des publics en larmes lors de concerts » ajoute Denis Teste. Dans la cave du Macareux, les flammes des diyas, lampes indiennes à huile, semblent danser au rythme des instruments. Regards, sourires de connivence, mouvements de tête : les musiciens se sont déjà envolés dans un autre monde, loin, très loin, de la furie des Grands Boulevards. Et le public est parti avec eux.
Quoi ? • Les raga secrets chaque 3e jeudi du mois. Entrée gratuite, consommation au bar et chapeau pour les artistes recommandés. Il est conseillé de bien vérifier la programmation avant de venir, le bar n'ouvre que lors d'événements.
Où • LE MACAREUX : 13-15 rue du Croissant, Paris 2e.
La Société secrète des joueurs de musique indienne : renseignements sur la page facebook du collectif ECHO.