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Sans faire dans la nostalgie facile, il est toujours un peu triste de voir des bars de quartier, figures tutélaires de nos rues, fermer leurs portes après des années de bons et loyaux services. C'est donc avec une véritable peine que nous voyons trois enseignes bien connues des Parisiens mettre un terme à leur activité : le Limonaire dans le 9e, le Soleil dans le 20e, et sans doute la Grosse Bouteille dans le 11e.
A chaque fois, l'histoire est différente et le coupable, s'il fallait en désigner un, possède de multiples visages. Certains redouteront bien entendu l'inévitable gentrification, ce serpent de mer au cœur de bien des fantasmes, mais aussi de bien des réalités. Il est évident que c'est la mutation du quartier des Grands Boulevards qui menace l'existence du Limonaire, ce sympathique café restaurant installé dans la charmante cité Bergère et qui proposait jusqu'à récemment des concerts intitulés « goguettes », reprises de chansons connues sur des thèmes d'actualité. Seulement voilà, en dix ans les riverains et les hôtels huppés ont pris du galon et ils n'ont pas envie d'entendre les Aristochats du coin en train de miauler.
Le mythique bar La Grosse Bouteille (cf. la photo en illustration de l'article), lui, fait les frais de la réhabilitation de la friche Richard-Lenoir en un jardin qui formera un corridor entre les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir. Une pétition bienheureuse espère que la mairie l'épargnera, mais rien n'est moins sûr. Les pétitionnaires mettent en avant l'histoire du lieu : « Une image insolite, vestige d’un Paris faubourien, émerge sur cette avenue haussmannienne. Le petit immeuble n’a pas de qualité particulière mais il forme avec sa terrasse et son enseigne de 2 mètres de haut un signal à la mémoire du quartier. » Sous le charme de cette grosse bouteille, Doisneau l'a prise en photo à plusieurs reprises en 1961. Plusieurs rédacteurs de Time Out y ont passé un très agréable moment et n'aimeraient pas voir cette bouteille tomber à l'eau.
Enfin, le troisième bar de cette liste non exhaustive ferme officiellement pour cause de retraite. A la tête du Soleil depuis trente ans, Saïd prend un repos bien mérité et laisse donc sa succession ouverte, ce qui inquiète les habitants de Ménilmontant. Kabyles, bobos, artistes, associatifs, étudiants, retraités, tous s'étaient habitués à venir bronzer à la terrasse de ce café au moins deux ou trois fois dans l'année. Désormais, certains craignent l'arrivée d'un bar à cocktails huppé qui attirerait une clientèle soi-disant riche des beaux quartiers venue s'encanailler dans le 20e. Un scénario possible, on le voit à l'œuvre du côté de Belleville, mais qui mérite d'être nuancé : les bobos aiment aussi les bars de quartier et les millionnaires ne vont pas encore tous boire des coups à Ménilmuche.