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« J'habite juste à côté de la Cosa Nostra et de la Bonne Bière, les deux bars de la rue de la Fontaine au Roi qui ont été victimes des attentats, nous raconte Julien Carpentier quand il arrive dans les locaux de Time Out. J'étais aux premières loges de la fusillade, et je n'ai pas dormi de la nuit. Le lendemain, j'ai eu envie de faire quelque chose et j'ai trouvé cette idée de ceinture de cœurs qui nous protège. » Auteur pour le théâtre et la télé dans la vie, Julien descend alors acheter quelques cœurs gonflables au magasin de farces et attrapes du coin, et il les attache à une ceinture. Un petit gadget facile à faire, qu'il confie d'abord aux gens du quartier encore sous le choc du 13 novembre : le vendeur de kebabs qui lui montre les impacts de balles dans son échoppe, le fleuriste, le barbier du Cigare à moustaches... Il se promène aussi à République le dimanche qui suit, lors du rassemblement en hommage aux victimes. « J'ai assisté de loin au mouvement de panique ce jour-là, et depuis je n'ai qu'une seule peur : que mes ballons explosent pendant que je les transporte en pleine rue ! Ce serait dommage de terrifier les gens avec des cœurs gonflables. »
Intitulés Les Soldats de Paix, sa page Facebook et son compte Instagram multiplient vite les portraits d'anonymes venus se prêter au jeu. Capturés au naturel, en pleine activité ou dans la rue, les gens semblent ignorer qu'ils portent la ceinture, comme si elle n'existait que dans l'esprit de celui qui regarde la photo. « Au début, j'ai demandé aux gens de poser face à l'appareil photo, détaille Julien. Ca ne marchait pas, alors j'ai changé d'approche, je les photographie comme s'ils n'avaient pas la ceinture, dans leur vie de tous les jours. » Une façon de poétiser davantage notre réalité quotidienne. Traité de « zozo » par l'écrivain réactionnaire Gabriel Matzneff dans un article du Point où ce dernier vomit sur la jeunesse parisienne du Bataclan, Julien prend cette marque de mépris pour une décoration honorifique. « J'assume totalement le côté "bisounours" de mon initiative, et je n'y vois rien de mal, au contraire. Nous vivons une période où une forme de naïveté et de beaux sentiments nous fait du bien. Il ne faut pas renier ce désir. »
En retournant les terribles images des terroristes contre eux, ce soldat de paix fait bien plus que redonner le sourire aux Parisiens le temps d'une photo. Il leur donne des armes concrètes, des symboles gonflés, pour lutter contre la peur, la haine et l'angoisse. N'en déplaise aux écrivains sordides et aux crève-cœur.