[title]
Pour beaucoup, l'adjectif « haussmannien » évoque un Paris bourgeois fait de grandes avenues et de beaux immeubles aux façades élégantes qui coûtent très cher. L'exposition gratuite du Pavillon de l'Arsenal, visible jusqu'au 4 juin 2017, démontre avec brio que les grands travaux urbains effectués tout au long du XIXe siècle à Paris méritent bien davantage que ce cliché. Les commissaires Franck Boutté, Benoit Jallon et Umberto Napolitano ont fait un travail énorme de décryptage, qui sous une forme a priori austère, géométrique et mathématique, révèle comment Paris a formé sa beauté légendaire grâce au génie des architectes de l'époque.
Qu'il aperçoive une porte cochère, un balcon, un étage, un angle de rue ou un immeuble entier, l'observateur reconnaîtra tout de suite Paris. C'est ce caractère fractal de la ville, où chaque partie reproduit la même structure que l'ensemble jusqu'à l'infini, qui a fait de Paris la ville la plus identifiable du monde. Derrière les différences apparentes entre les quartiers et les arrondissements, on retrouve des invariants qui les réunissent : partout, la ville est faite pour le piéton, par exemple, et où qu'il soit le Parisien trouvera à quelques mètres de lui suffisamment de commerces et de services pour s'y rendre à pied, un cas presque unique pour une grande capitale. Des schémas complexes viennent appuyer par les chiffres ce que chacun a déjà confusément ressenti : on ne se déplace pas ici comme à Londres, à Berlin ou à New York. Paris est la métropole la plus « marchable » du monde.
Le Paris haussmannien à la pointe de la modernité et de l'écologie
Pour les commissaires de l'exposition et la plupart des architectes actuels, les îlots d'immeubles créés par Haussmann, préfet de la Seine entre 1853 et 1870, répondent aux critères les plus exigeants de la modernité : ils sont homogènes, plutôt écologiques, construits avec un matériau local (la pierre blanche de Saint-Maximin dans l'Oise), et d'un bâti finement taillé qui permet une densité humaine quasi indépassable. C'est bien simple, aucun autre type d'architecture ultérieur ne surpasse la densité des îlots haussmanniens si ce n'est les grandes tours des années 1970, bien moins charmantes. Cette forte densité est aussi permise par la mitoyenneté entre les îlots, parfois séparés par un simple mur, une petite cour, et par leur adaptabilité. Si la structure des immeubles haussmanniens est toujours à peu près la même (taille des étages, ornements, fenêtres...), leur souplesse est immense. Un grand appartement peut ainsi être à loisir divisé en plusieurs petits, ou bien se voir transformé en bureaux, avant de redevenir éventuellement un grand loft. C'est ce que les spécialistes nomment la « résilience » du bâti haussmannien.
On l'aura compris, le Paris haussmannien présente presque toutes les caractéristiques de la ville durable, plus d'un siècle avant son invention. Bien loin de tailler à la faux dans la ville, Haussmann a ciselé avec un sens du détail incroyable, prenant soin de conserver une bonne partie du bâti ancien, comme on le constate encore dans bien des quartiers. Il s'est adapté à l'histoire parisienne, toujours avec le souci de privilégier à la fois la fonction et l'esthétique des perspectives, des artères, des angles, des façades. Pour entrer davantage dans le détail, on recommande vivement au lecteur de jeter un œil à ce merveilleux film ci-dessous, diffusé par ailleurs dans l'exposition. Il s'agit de 'Paris, roman d'une ville' (1991), passionnant documentaire de Stan Neumann où l'on suit l'historien d'art François Loyer. C'est une invitation à lever les yeux vers le ciel, à s'arrêter au milieu d'un carrefour, à pousser une porte pour visiter une cour, à dessiner des balcons, à observer les bas-reliefs sculptés au-dessus des portes. A redécouvrir la plus belle ville du monde, en somme.
Quoi ? • Paris Haussmann, expo gratuite.
Où ? • Pavillon de l'Arsenal, Paris 4e.
Quand ? • Jusqu'au 4 juin. Tous les jours sauf lundi à partir de 11h jusqu'à 18h30.