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C'est dans un coffee shop au cœur du haut marais que l'on retrouve Lindsey. Un capuccino entre les mains, cette jeune journaliste, auteure du blog Lost in cheeseland raconte chaque jour sa vie d'expatriée dans la capitale parisienne. Les bars qu'elle fréquente, les restos dans lesquels elle a ses habitudes, les boutiques qu'elle aime. Un city guide qu'elle agrémente de conseils élaborés, d'interviews de chefs tels que Romain Meder et d'expériences plus personnelles.
Originaire de Philadelphie aux Etats-Unis, cette pimpante trentenaire s'adresse principalement aux anglophones, mais son regard avisé sur les mœurs parisiennes ne manquera pas d'intéresser les Parisiens de la première heure. D'autant que Lindsey signe chez Abrams Books avec la photographe Charissa Fay son premier ouvrage 'The New Paris'. Une exploration des changements qu'opèrent la capitale française et ses habitants. Comment mange-ton à Paris ? Dans quel quartier boire un bon café ? Quelles sont les dernières tendances de l'artisanat parisien ? Tous les acteurs de cette excitante transformation sont réunis dans ce magnifique livre de 270 pages. Un ouvrage disponible en anglais et qui, on l'espère, sera très vite traduit en parigot.
Time Out Paris : Comment l'aventure de Lost in cheeseland a-t-elle commencé ?
Lindsey Tramuta : J’ai lancé mon blog en 2009. A l’époque, je cherchais à découvrir la ville. J'observais les restos qui ouvraient, je faisais plein de petites découvertes... J’ai commencé à travailler comme social media manager chez BBDO mais puisque ce n’était que quatre jours sur cinq, je profitais de mon vendredi de libre pour blogger. C’est à cette époque que j’ai commencé à écrire pour T-magazine aux Etats-Unis. Je voulais continuer à avoir du contenu pour mon site mais aussi aller plus loin, je voulais progresser. J'avais en tête des sujets culturels mais sans avoir forcément envie de les traiter pour moi. Et puis un jour une amie, que je considère comme un mentor, m'a parlé d'écrire un livre. « Je viens vers toi parce que tu connais le nouveau Paris, ce que tu traites dans la presse c’est le Paris moderne, les changements dans la ville... »
C'est comme ça que l'idée d'écrire 'The New Paris' est née ?
Oui, j’ai pris un peu de recul et je me suis rendu compte que ce n’était pas que dans la gastronomie qu’il y avait un changement. Je croisais de plus en plus de personnes qui se reconvertissaient, qui suivaient leur passion, qui ravivaient un savoir-faire ancien. C'était ça le sujet ! J’ai pris le temps de poser mon idée : définir l'angle du livre, choisir le bon photographe, la manière dont je voulais le promouvoir, observer les livres déjà sur le marché. C’était un très bon timing pour ce genre de sujet. J'ai contacté une amie aux Etats-Unis, elle a adoré l’idée, son agent aussi et on a mis tout ça en forme pour qu’elle aborde des maisons d’édition. J’ai posé ma démission le 5 janvier 2015, je suis partie le 2 avril et deux semaines plus tard, j’avais une offre de la maison d'édition Abrams qui est une branche du groupe La Martinière.
Tu avais l'angle de ton livre, il fallait maintenant l'écrire, comment as-tu procédé ?
La recherche m’a pris beaucoup de temps, rencontrer les gens, imaginer le chapitrage, la forme globale. J’ai parlé avec une soixantaine de personnes à différents moments et sur différents thèmes, pas seulement la gastronomie mais aussi la mode, le shopping, la ville de Paris. Il fallait un fil conducteur. J’ai mis beaucoup de temps à construire tout ça.
C'est toujours périlleux de parler de lieux. Le ballet d'ouverture et de fermeture des cafés, bars et boutiques est très exigeant...
Mon éditeur voulait s’assurer que le contenu ne soit pas rapidement obsolète. Quand j’ai commencé, je savais que l’idée n’était pas de surfer sur les tendances - qui elles passent vite - mais de documenter une mouvance qui n’en est, à mon sens, qu'à ses débuts. Les changements dont je parle dans le livre se sont faits avant que je ne les remarque et se font au fur et à mesure. Paris continue d'évoluer. Et puis heureusement à Paris les choses ne vont pas aussi vite qu'à New York, par exemple, qui en six mois peut totalement changer de visage. Quand je suis arrivée à Paris, j’étais d’ailleurs très surprise par ce non-mouvement. J'ai depuis observé que les choses changeaient plus vite qu’avant. Plutôt vite pour Paris ! Dans la restauration, il y a des changements en permanence aujourd'hui, même si on est encore loin de New York !
Pourquoi Paris est-elle si lente selon toi ?
Je pense que c'est dû à la mentalité de la France en général. Ce besoin de vouloir protéger le passé en ayant peur du changement. Vous avez mis longtemps à construire cela. Ca ne fait pas si longtemps que Haussmann a tout rasé ! Et puis il y a cette volonté d’être adoré par tout le monde. Paris a été considérée comme une ville progressiste à plein de moments dans son histoire. 'The New Paris' témoigne d'une nouvelle phase de progression. Il y a plusieurs facteurs qui selon moi ont motivé ce renouveau. L’accès à l’information a transformé la vie de tout le monde. Même si les Français sont plutôt réticents face aux nouvelles technologies. Cet accès à l’information a permis à beaucoup de monde de voir ce qui se passait ailleurs sans pour autant avoir à se déplacer. Dans la cuisine, ça a été super formateur pour les jeunes chefs qui ne pouvaient pas forcément voyager. Je pense que les réseaux sociaux ont été comme un catalyseur qui donnait envie aux gens de découvrir de nouvelles choses, qui a motivé certaines personnes à construire de nouveaux projets. Si ça marche à Londres, pourquoi pas à Paris ? La crise a aussi poussé les gens hors de leur zone de confort, on ne passe plus vingt ans dans la même boîte.
Les réseaux sociaux ont aidé à la gentrification de Paris ?
A Paris, la gentrification est plus douce qu'à Londres ou New York. Si on prend par exemple la rue des Archives côté BHV, des boutiques comme Moncler, Fendi et Givenchy ont ouvert récemment. A cet endroit-là, on a totalement perdu l’esprit du marais, mais ça a mis du temps. La commercialisation aurait eu lieu beaucoup plus vite dans d'autres villes.
Quels sont pour toi les endroits où Paris a besoin d'évoluer ?
Les gares ! Notre manière d’interagir avec les gares doit changer. Le mouvement commence, il y a maintenant Thierry Marx à Gare du nord, Eric Fréchon au Lazare. C’est un bon début, mais il y a encore du travail pour faire de ces gares des destinations. Je pense aussi que l'on va assister à des changements au niveau du développement durable en cuisine. A Paris, on mange super bien et pour des tarifs raisonnables. On ne peut pas manger aussi bien pour si peu cher aux Etats-Unis. J’ai fait l’exercice à l'automne à New York, j'avais l'impression de saigner de l'argent ! Tout est plus cher. A Paris, on a su combler l'écart entre le pas-bon pas-cher et le gastronomique.
Qu’est-ce qui t’a le plus choqué chez les Parisiens à ton arrivée ?
Il y a un côté très négatif chez les Parisiens, très pessimiste. Et en même temps ce sont des personnes très festives. Il y a une joie de vivre que l’on ne voit pas ailleurs. Un mélange de bonne humeur et de cynisme qui est probablement plus présent chez les Parisiens. Il y a aussi ce côté « vite essoufflé », « vite énervé » qui stresse parfois les nouveaux arrivés ou les expatriés qui n’ont pas l’habitude.
L’administration est un casse-tête ! Il te manque toujours un papier mais on ne te dit jamais lequel en avance. Tu as l’impression de courir après toi-même. Pour moi, Paul Taylor réussit parfaitement à retranscrire ces petites nuances si parisiennes. Pour avoir un compte en banque, il faut une adresse mais pour louer un appartement il faut un compte à la banque ! Comment faire ? Même si la ville change, certaines choses ne changent pas, c’est dans l’ADN des gens. On critique, mais on aime bien !
Que réponds-tu quand on te demande d'expliquer le style de la Parisienne ?
Pendant très longtemps, j’ai essayé d’adopter différents styles parisiens. Aux Etats-Unis, on parle souvent du style parisien, mais en fait il y en a plusieurs qui dépendent du quartier.
On parle souvent d'Inès de la Fressange comme symbole...
Il y a plusieurs icônes... Caroline de Maigret, Morgane Sezalory, Héloïse de Christine and the queens… Je résiste à l’idée qu’il n’y en ait qu’une seule. Il y a quand même un look de trentenaire européen. Quand tu vas à Londres, tu retrouves certains codes. Quand j’observe des Parisiennes dans le métro, je me dis qu’il y a une élégance innée que je n’ai pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je ressens un décalage. J’ai remarqué aussi que les Parisiennes aimaient beaucoup les bijoux très fins. Même si elles sont habillées en boyfriend, elles vont avoir des bijoux délicats, un petit détail qui les rend encore plus féminines. Il y a une tactique vestimentaire qui est très spécifique aux Parisiennes !
Ton livre raconte l'histoire de différents lieux parisiens, quels sont tes lieux de prédilection ?
Pour le petit-déjeuner ou le goûter, Du Pain et des idées. Il faut prendre un escargot pistache-chocolat ! Il y a aussi Fou de pâtisserie, ça permet d’aller à un seul endroit et de déguster plusieurs mets de plusieurs pâtissiers. Pour le shopping, je dirais Les Halles, il y a Sept-cinq et L’Exception juste à côté avec des sélections très différentes. Pour manger, le 52 faubourg Saint-Denis, mon lieu fétiche, ou Tannat dans le même esprit mais en plus cosy. Pour le café, étape obligatoire, je conseille La Fontaine de Belleville. Un lieu qui joue sur plusieurs tableaux : la boisson, l'expérience de la culture du café et la bière artisanale. Je vais beaucoup au Café Oberkampf, c’est devenu ma cantine. J’ai écrit pas mal de pages de 'The New Paris' là-bas, au comptoir.