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A Nuit Debout, proposer à tous de se nourrir à un prix libre fait aussi partie de la convergence des luttes.
Depuis quinze jours, suite à une manifestation contre la loi El Khomri, le mouvement Nuit Debout a investi la place de la République. Anti-capitalistes, anarchistes, étudiants, travailleurs, retraités, personnes qui n’en peuvent simplement plus de la politique actuelle mais aussi badauds et curieux. Chaque soir, ce sont des centaines et des centaines de personnes qui s’installent sur la place pour débattre avec une règle de base : « Pas de récupération politique. »
Nuit Debout ©ZT
Avec le mouvement, une dizaine de « commissions » se sont formées : commission convergence des luttes, commission transparence, commission action, commission science, commission climat, etc. Elles se réunissent pour débattre l’après-midi puis proposer leurs idées en A.G. Prennent la parole également : des représentants associatifs, des économistes comme Frédéric Lordon, qui appelle à l’écriture d’une nouvelle constitution sociale, des chercheurs autour du collectif Science Debout, des SDF qui parfois poussent la chansonnette. On peut dire le mouvement éparse, brouillon, qu’il revendique beaucoup sans proposer vraiment, mais, en réalité, cette prise de parole libre et ces débats bouillonnants réjouissent.
La place de la République a des airs de village autarcique avec ses stands : aide juridique, commission numérique (#hackingdebout) , bibliothèque (#bibliodebout) où l’on peut venir se servir gratuitement en livres, Radio Debout où l’on croise des journalistes de France Inter comme Guillaume Meurice, Télé Debout, et Cuisine Debout. Ne manquent plus que les Histoires à dormir. Ce soir-là, c’est au tour des volontaires des structures de parler, ceux que l’on voit moins car ils sont à l’arrière-plan et s’occupent de la logistique, monter, démonter les tentes, faire à manger… Sur scène arrive Stéphane, la quarantaine, parka sur le dos, prend la parole : « Je prends beaucoup de plaisir à faire à manger, ce qui ne m’était jamais arrivé de ma vie. »
« Police partout marmite nulle part. »
Car la lutte se situe aussi dans l’assiette. Depuis le départ, des volontaires s’occupent de tenir une cuisine « à prix libre ». Ce qui selon Mickaël, qui travaille dans l’hôtellerie et s’occupe de la logistique bouffe à Nuit Debout, « fait vraiment chier l’Etat ».
Il nous parle du Marmite Gate de lundi dernier, jour où des CRS qui voulaient empêcher les volontaires de rejoindre le site ont vidé une marmite de mafé ou de soupe (les avis divergent). « C’était honteux, raconte Mickaël, un journal a même écrit un article 'La Police française gâche de la nourriture' », dit-il en rigolant (Les Inrocks et la Nouvelle Edition de Canal + ont relayé l’information alors que twitter s’est enflammé sous le #marmitegate). La photo, elle, a fait le tour du web, accompagnée de ce slogan savoureux : « Police partout marmite nulle part. »
« On avait aussi installé un potager sauvage en enlevant les dalles pour y planter des poireaux et un jardin suspendu, mais les mecs de la mairie de Paris sont venus les arracher. On nous a accusés de "dégradations", je ne comprends pas, une dalle tu l’enlèves et tu la remets », raconte Mickael. « Maintenant certains parlent d’investir la place de la Bastille, d’y déverser du terreau et d’en faire un potager sauvage. »
La révolution par l’agriculture !
Cuisine Debout ©ZT
« C’est hyper important de proposer à manger à prix libre sur cette place, ça permet aux gens de rester ici. »
Au stand cuisine tout le monde peut venir chercher à manger en payant le prix qu’il veut. Le grand banquet installé sur des tables en bois où les bénévoles servent de 17h à minuit et demi ne désemplit pas. Côté cuisine, les équipes semblent très organisées, le stock est installé au fond, ainsi que les réchauds pour faire cuire le mafé. Sur les tables, parfois prêtées par des restaurants voisins, une quinzaine de personnes découpent, râpent, assemblent, gants en latex aux mains. Une jolie rousse la trentaine, cheveux bouclées, découpe du chou : « On cuisine ce qui reste, là on fait des sandwichs au chou, mais attention du chou citronné, je suis la cousine de Paul Bocuse en fait. Le chou debout ! »
Sam, 30 ans, barbe fournie, gavroche sur la tête et chaussures de rando aux pieds a rejoint le mouvement depuis le premier jour : « La République était devenue une place célèbre funèbrement après les attentats du 13 novembre et du 7 janvier. C’est bien les « commémorations mais là les Parisiens reviennent sur cette place afin de communier, de s’émanciper, la vie reste plus importante non ? » Il s’occupe de la logistique du pôle restauration : « C’est hyper important de proposer à manger à prix libre sur cette place, ça permet aux gens de rester ici. »
Sam - Nuit Debout ©ZT
L’indépendance alimentaire comme une façon de rester libre. Aussi.
Sam explique la genèse de Cuisine Debout : « On a commencé en faisant des récupérations sur le marché de Belleville. On a aussi fait un appel aux dons ; les gens ont participé généreusement. » Hier, les volontaires du stand cuisine se sont rendus pour la première fois à Rungis pour chercher des invendus qu’ils ont ensuite cuisinés dans les cuisines de Freegaan Pony. Le restaurant, monté par Aladdin Charni, squatteur charismatique, qui a beaucoup fait parler de lui il y a quelques mois en proposant des menus à base de récupération alimentaire cuisinés par des chefs. Ce qu’on appelle le freeganisme, où comment se nourrir gratuitement.
23h, en cuisine l’action bat toujours son plein. « Est-ce qu’on est pour la taylorisation du travail ? », demande un jeune en rigolant alors qu’il est en train de tartiner des rillettes à la chaîne. « Samedi on va avoir une tonne de poulet à faire cuire », lance un bénévole antillais, la cinquantaine. Julien, est là avec sa compagne, il travaille dans l’Education nationale la journée et vient ici depuis le premier jour du mouvement : « Chacun se positionne là où il pense être le plus utile. » Ses motivations ? « J’étais là au départ, contre la loi du travail, mais comme tous les gens qui sont là, on a des envies qui transcendent la loi du travail, il me faudrait une heure pour vous l’expliquer. » Ce soir, comme les soirs d’avant, il rentrera avec le dernier RER.
Mickaël, conclut : « Ici toutes les classes sont réunies, on sert aussi à manger aux SDF et aux migrants à qui on apporte des sandwichs. La bouffe, c’est le nerf de la guerre. »
La prochaine constitution - Nuit Debout ©ZT
Téle Debout ©ZT