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Film dans le film à la maîtrise cynique et glacée, ‘Nocturnal Animals’ alterne entre déambulation dans le milieu du luxe et violence de thriller texan. Alors, polar schizo ? Ou juste le cul entre deux chaises ?
Galeriste d’art contemporain évoluant parmi les plus hautes sphères du marché américain (champagne à foison, dîners mondains, voix feutrées…), Susan Morrow (Amy Adams) s’ennuie ferme. Et ce n’est clairement pas son mariage de convenance avec Walker (Armie Hammer), businessman plein aux as qui travaille d’arrache-pied d’un bout à l’autre des Etats-Unis – même si, en pratique, on le voit surtout s’organiser de joyeux petits 5 à 7 avec de jeunes secrétaires dans des palaces cossus – qui risque de la sortir de sa torpeur. Bref, ça s’emmerde veugra chez les ultra-riches. Mais au moins, les petits fours sont gratos.
Aussi, lorsque Susan reçoit ‘Nocturnal Animals’, mystérieux manuscrit de son premier mari, Edward Sheffield (Jake Gyllenhaal), jadis aspirant écrivain qui paraît désormais solliciter pour ce premier roman l’avis de son ex – à laquelle le livre est d’ailleurs dédié –, la richissime quadra se plonge dans une lecture compulsive. Jusqu’à l’obsession. Il faut dire que le récit qui s’y déploie ressemble assez à du Cormac McCarthy de seconde zone – ce qui n’est déjà pas si mal – capable de la faire vibrer autrement que son quotidien spleenétique, étriqué entre des échos de Jeff Koons et de Philippe Starck.
Surtout, ce que le film de Tom Ford semble peu à peu chercher à instaurer, c’est évidemment un dialogue entre les deux niveaux de cette mise en abyme. Hélas, le polar écrit par le personnage de Jake Gyllenhaal (qui interprète également, dans l’imaginaire de Susan, le héros de ce récit, Tony) devient peu à peu le cœur du film, en particulier grâce à la présence d’un excellent Michael Shannon, shérif texan et cracheur de poumons, enquêtant sur l’agression ultra-violente – on vous laisse en découvrir les détails – dont Tony (encore Jake Gyllenhaal, si vous suivez toujours) et sa famille ont été victimes.
Amy Adams a donc beau faire de son mieux, son personnage de galeriste héritière se voit tellement accablé par le scénario qu’il lui paraît difficile d’en tirer davantage qu’un jeu monocorde, alternant moues blasées et chocs de lecture. Le film se décentre ainsi au fur et à mesure qu’il évolue, laissant derrière lui son contexte initial – qui paraît vite assez insignifiant face à la violence du récit littéraire de Gyllenhaal, qui trouve à nouveau ici l’un de ces doubles-rôles qu’il affectionne manifestement (on peut par exemple penser ici à ‘Enemy’ de Denis Villeneuve).
Bref, il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce long métrage, ne serait-ce que pour louer le fort beau travail de son directeur de la photographie, Seamus McGarvey, qui confère à ‘Nocturnal Animals’ son esthétique froide et fascinante. Mais le déséquilibre entre les deux niveaux du film paraît d’autant plus prégnant que ceux-ci se trouvent sans cesse imbriqués par un montage assez habile. Et, l’un comme l’autre, pas tout à fait aboutis.
Toutefois, sans être le chef-d’œuvre qu’il aurait probablement aimé être, ‘Nocturnal Animals’ reste un thriller efficace, au suspense bien fichu (malgré une ou deux facilités destinées à vous faire sursauter par réflexe) et à la maîtrise indiscutable. Son seul problème, au fond, c’est juste de trop ressembler à son héroïne frigorifique, angoissée et écrasée. Que le film, pourtant, n’aime visiblement pas.
'Nocturnal Animals' de Tom Ford : bande-annonce
>>>> 'Nocturnal Animals' de Tom Ford, avec Amy Adams, Jake Gyllenhaal et Michael Shannon. Actuellement en salles.