Actualités

Omnivore : je suis venu, j’ai vu, j’ai goûtu

Écrit par
Zazie Tavitian
Publicité

« Qui a déjà mangé du corbeau freux ? » C’est la question que pose Magnus Ek, chef du restaurant Oaxen à Stockholm, à l’auditoire de 1 600 personnes venues l’écouter à la Mutualité en ce dimanche après-midi. Personne évidemment ne lève la main. S’ensuit la démonstration d’une recette autour du volatile qui met aussi en scène du céleri cramé à 160° et des branches de sapin. Puis, les plus téméraires profitent du passage de l’assiette pour s'emparer d'un bout de passereau : une expérience culinaire improbable qui sera, au moins, l’occasion de frimer en société.

On vous en parlait il n'y a pas longtemps, le festival Omnivore a fait halte à Paris pendant trois jours, soit l’occasion pour nous d’assister à un grand raout gastronomique et d'observer un mélange hétéroclite réunissant chefs, producteurs, maraîchers, vignerons, artisans et le public venu les écouter, les acclamer et parfois tenter de picorer des morceaux de corbeau : un mélange (d)étonnant.

« Hé Fabienne, c’était pas de l’autre côté le truc où on peut goûter la terrine de ris de veau ? », demande une dame à son amie dans le « village omnivore » où des marques proposent de faire découvrir leurs produits. Un tour d’horizon rapide nous permet de goûter en « ex-clu-si-vi-té » le nouveau beurre Bordier au sarrasin (incroyable), de boire une Leffe Ruby ou d’essayer la glace à la truffe des excellents glaciers artisanaux bio Terre adélice. Toutefois, on ne vient pas à Omnivore pour s’en mettre plein le ventre (même si les plus malins trouvent toujours les bons spots) mais pour écouter les histoires des professionnels de la gastronomie, pour connaître des parcours de vie qui révèlent généralement une vision plus globale du monde.

Omnivore ©ZT

Pour cela la « scène artisan » où producteurs, agriculteurs, maraîchers et vignerons viennent prendre la parole est peut-être la plus intéressante.

« Il faut arrêter de "starifier" les chefs et valoriser les producteurs, ce sont eux qui travaillent le vivant. Sans eux, nous ne serions rien », commence par dire d’ailleurs Florent Ladeyn, chef étoilé flamand et ancien finaliste de "Top Chef", lorsqu’il vient présenter ses collègues maraîchers. Bertrand Devienne et Dries Delanote venus tout droit de Flandres arrivent alors sous les acclamations de la salle pleine à craquer. Les deux trentenaires passionnés racontent leurs combats pour travailler les produits en permaculture, leur croyance dans le choix d’une agriculture respectueuse de l’environnement, innovante, où le produit, « le vivant », est le centre de la production. 

Dries explique ainsi comment un chou peut se déguster partie par partie tout au long des saisons, tandis que Florent Ladeyn en fait la démonstration en cuisinant les feuilles, puis la tige, etc., que le public déguste ensuite. « Tout ce qu’on a appris à l’école sur les plantes, ce n’est pas vrai, on vit dans un monde domestiqué c’est tout », raconte Dries alors que Bertrand surenchérit : « Il faut laisser la vie reprendre plus de liberté. » « Et vous, vivez-vous dignement ? », interroge une dame dans le public. « Ca dépend de ce que l’on entend par "vivre dignement", nous n’avons peut-être pas les mêmes exigences que tout le monde. Cultiver en tenant compte de la nature, de l’énergie, ce n’est pas juste un métier, c’est une vie complète que l’on choisit. On ne doit pas compter nos heures », répond Dries Delanote sous les applaudissements fournis du public.

Des maraîchers du Nord-Pas-de-Calais applaudis par un public parisien : cette scène peut sembler farfelue vue de l’extérieur. En réalité et au moment où le monde agricole peine à trouver des modèles économiques viables (car ils sont souvent dépendants des subventions de l’Etat), entendre ce genre de discours réjouit un public concerné par la cause écologique et un mode de consommation plus responsable. Pour les maraîchers qui y consacrent « leur vie », sentir que cette façon de penser l'agriculture est approuvée par les consommateurs n'est pas anodin non plus.

Omnivore ©ZT

On retrouvera ces mêmes maraîchers le soir sur la piste de danse du pavillon de l’Arsenal, où se tient la soirée Omnivore / Badoit et où une quinzaine de chefs proposent un plat unique que l’on peut déguster grâce à des tickets. Pas évident de tenir son verre de vin nature (Chardo Bas, Chardonnay 2014 de Benoit Pelport) d’une main alors que l’on tente de manger sa poitrine de cochon, ail des ours et daïkon de Romain Tischenko de l’autre. Il est minuit, les tickets « bouchées » jonchent le sol, les bouteilles de vin circulent et tout le monde danse sur du France Gall. « On est loin du festival tel qu’il était au tout début », nous murmure un invité. En effet, qui aurait pu imaginer il y a quelques années qu’un festival de bouffe soit aussi « sexy » qu’une soirée de fin de tournage ?

À la une

    Publicité