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Alors que le chanteur vient de sortir une nouvelle chanson, la première depuis longtemps, petit essai de topographie sociologique du Paname de Renaud Séchan.
« Moi, j'suis amoureux de Paname / Du béton et du macadam / Sous les pavés ouais, c'est la plage / Mais l'bitume c'est mon paysage ». Cette ode à Paris, Renaud la chante sur son premier disque paru en 1975, dans une diatribe anti-écolo totalement à contre-courant de son époque. Une chanson provocatrice, à l'image du chanteur. Titi parisien pur jus, né dans le 14e, cirant les bancs de la Sorbonne pendant mai 68 (pour faire la révolution, pas pour bachoter), devenu libraire boulevard Saint-Michel puis comédien au Café de la Gare de Coluche à 20 piges à peine, s'improvisant dandy chanteur dans les hauts lieux de Montparnasse avant de passer par les bandes de loubards de la Bastoche dans les années 1970, Renaud connaît Paris. Ou plutôt Paname. Car la ville, pour lui, se décline en argot. Qu'il porte un blouson noir de voyou, un foulard de minet ou une casquette de gavroche, le chanteur court après un Paris imaginaire, populaire et artistique, celui qu'il a lu dans les bouquins d'Eugène Sue, de Boris Vian ou de Guy de Maupassant, celui qu'il a entendu dans les airs de Bruant ou de la chanson réaliste.
© FIPA
Toutes ces références, et bien plus encore, on les retrouve dans son premier album, dédié principalement à Paris. Sans surprise, Renaud chante le Paris populaire, celui de l'Est et du Nord, mais aussi la rive gauche, lieu de vie principal du chanteur. Les paroles des chansons permettent autant de suivre sa biographie à la trace que de décrire les quartiers mythiques que le chanteur estime devoir citer, presque par tradition chansonnière. C'est en tout cas avec une fierté bravache qu'il évoque la ville, estimant que « Paris n'est pas si moche » ("Ecoutez-moi les gavroches") ou encore que « la Tour Montparnasse, elle est belle, et moi j'adore la tour Eiffel » ("Amoureux de Paname"). Comme l'argot est la poésie du langage urbain, les chansons de Renaud forment une poétique du bitume :
« Moi j'aime encore les pissotières,
J'aime encore l'odeur des poubelles
J'me parfume pas à l'oxygène,
L'gaz carbonique c'est mon hygiène. »
Enfant du 14e arrondissement, Renaud consacre une chanson entière à une institution du boulevard Montparnasse qu'il connaît bien : la Coupole. Sur le site Internet de ce lieu mythique des soirées parisiennes, restaurant et repaire d'artistes illustres (Picasso, Hemingway, Sartre, Cocteau, Aragon...), on peut ainsi lire : « En mai 68, Cohn-Bendit monte sur la table. Patti Smith joue de la guitare en terrasse, Renaud fait la manche. » Quelques années plus tard, celui-ci rêvera une Coupole surréaliste et atemporelle, où Andy Warhol peint les jambes de Mistinguett tandis que Lewis Carroll parle de fillettes en salopettes. Autre réminiscence biographique, référence à la période où Renaud devient libraire au Quartier Latin, la fameuse Germaine de son deuxième album habite « une chambre de bonne, quelque part dans le 5e, à côté de la Sorbonne ». Cette Sorbonne où Renaud Séchan a fait ses premières armes comme compositeur à 16 ans, déclamant en plein amphi occupé un fameux "Crève salope" qui fera les beaux jours de mai 68.
© Paname Urbex
C'est surtout avec son "Blues de la porte d'Orléans" qu'on découvre un morceau proprement autobiographique. Sur un mode humoristique (« Vercingétorix s'est battu, tout près du métro Alésia »), l'auteur revendique l'indépendance de son quartier. Une déclaration d'amour et un gage de fidélité, qui tient toujours aujourd'hui :
« Le 14e arrondissement,
C'est mon quartier d'puis vingt-cinq berges,
C'est dans ses rues que j'passe mon temps,
Dans ses bistrots que je gamberge »
A côté de ces indices biographiques, Renaud raconte aussi la vie de personnages qui le fascinent et avec lesquels il va frayer ensuite pendant plusieurs années : « les escarpes et les marlous », « la racaille, la mauvaise herbe des bas quartiers ». Le titre "Gueule d'aminche" évoque ainsi la vie d'un gigolo de la Vache Noire (un quartier d'Arcueil), « tombeur des bals populaires, de la Chapelle à la Villette », s'amourachant d'une bourgeoise des Grands Boulevards, à tel point qu'il abandonne le banditisme. Même esprit pour "La Java sans joie", où Renaud conte le récit d'un type qui s'est mis « dans la cambriole avec ses copains de Saint-Mandé », puis « a voyouté quelque temps avec Dédé le surineur, avec Julot d'Ménilmontant et toute la bande du Sacré-Cœur. » Ces portraits de voyous restent toutefois marqués par la littérature et l'histoire de Paris, bien loin de la réalité du temps. Il faut attendre le disque 'Place de ma mob' (1977) pour voir Renaud profiter de son expérience avec les « loubards périphériques » ("La Chanson du loubard") et dresser une étude plus réaliste du milieu.
Dès lors, au revoir Paname. On ne reverra plus ses rues qu'à travers de rares échappées, comme ce vers poignant des "Charognards", l'histoire d'un braquage qui finit mal : « J’ai vécu à Sarcelles, j’crève aux Champs-Élysées ». A l'inverse, la banlieue n'en finit plus d'inspirer à Renaud des chansons tour à tour tristes ou amusantes, mais souvent géniales : "Banlieue Rouge", "Les Charognards", "La Chanson du loubard", "Le Tango de Massy-Palaiseau", "Dans mon HLM", "Deuxième génération"... A l'intérieur de ces tours et de ces logements sociaux, Renaud perçoit très tôt le symbole des crispations françaises et la fracture immense qui sépare le pays de ces territoires délaissés. Une splendide phrase de la "Chanson du loubard" l'exprime encore mieux : « La France est une banlieue merdique, comme dit mon copain Mohammed, aux flics ». Au bout du compte, Renaud laisse pourtant entendre que Paris et sa banlieue, le banlieusard et l'enfant des rues révolutionnaire, se rejoignent dans un même destin, à la fois populaire et tragique. Même si c'est à travers les âges et les légendes :
« Et moi, j'continue mon cinoche,
Au pied de ces buildings miteux,
j'voudrais crever avant d'être moche,
J'voudrais finir comme toi, mon vieux Gavroche. »
Pour terminer, quelques photos du site Paname Urbex, qui remettent les photos de Renaud dans leur contexte parisien :
© Paname Urbex
© Paname Urbex
Renaud interprète une magnifique "Chanson du loubard" devant un Plastic Bertrand aux pupilles étrangement dilatées.