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« Attachez votre vélo ici, jeune homme ! » Pas le temps de souffler que Bolek a déjà sauté de son tabouret et posé son livre pour vous mettre le grappin dessus. « Qu'est-ce que vous aimez lire ? », interroge-t-il avec 'Charly 9' de Jean Teulé dans les mains, un livre sur la Saint-Barthélémy. Le verbe gouailleur et de la salive à revendre, ce grand barbu vend des livres d'occasion sur la place Franz Liszt dans le 9e arrondissement. Nommez-le camelot titulaire du métro Poissonnière, libraire de rue, marchand de bouquins... Tout, mais pas kiosquier. Bolek, 70 ans, conserve un souvenir amer de ses presque trente ans dans le métier, alors pas question de le présenter comme vendeur de journaux. Installé à côté de la bouche de métro depuis 1983, ce fils d'immigrés polonais originaire du nord de la France symbolise à lui tout seul l'évolution de la profession : « On était des seigneurs, autrefois ! se rappelle-t-il, les yeux pétillants. Aujourd'hui, on n'est plus rien, qui voudrait devenir kiosquier ? Internet a tué le kiosque à journaux. »
Pourtant, c'est la crise des NMPP en 1994 qui signe avant Internet la fin de son activité : endetté, Bolek voit son approvisionnement en journaux coupé. A l'époque, il est presque à la rue, en proie à une féroce marginalisation. Il en garde des séquelles indélébiles qui se lisent sur son visage buriné et s'entendent dans sa voix fatiguée. Qu'à cela ne tienne, avec l'aide des habitants du quartier, Bolek ouvre un nouveau kiosque, « un cercueil debout », dans lequel il vend des livres de seconde main. Un peu de tout, ce qu'on lui donne et ce qu'il trouve, une biographie de Maurice Chevalier, des nouvelles de Tennessee Williams, un bouquin sur le foot, une collection de revues Hitchcock Magazine, un vieil SAS de Gérard de Villiers, des romans, des essais sur l'actualité... Assis sur son tabouret, le septuagénaire lit tout ce qui lui tombe sous la main, deux bouquins par jour nous assure-t-il, avec une préférence pour l'histoire et les biographies. Ca tombe bien, on aime aussi l'histoire et on a repéré 'Les Procès de Jeanne d'Arc' de Georges et Andrée Duby. En bon état, 2 €, une affaire. « Vous me direz si c'est bien ! », nous lance-t-il.
« Sinon, vous aimez le vélo ? J'ai un super livre sur le vélo. » Le bouquiniste fait doucement pivoter le présentoir rouillé de son kiosque pour fouiner dans les livres du fond : « Il faut faire attention quand on touche la mécanique, comme avec une jeune mariée. » Il nous tend alors un ouvrage sur l'histoire des coureurs cyclistes du tour de France. « Ca c'était des hommes, des vrais sportifs, pas comme aujourd'hui. » A travers Bolek, c'est la nostalgie qui parle, accompagnée d'une pointe d'aigreur facilement compréhensible. En 2006, la mairie de Paris repère son petit trafic de livres illégal et menace de l'expulser une fois de plus. Bis repetita : il se défend et publie le livre 'Je voulais pas crever' chez Albin Michel, co-écrit avec Laurent Boscq. Sauvé par le soutien des gens du quartier et une pétition, Bolek devient une vedette locale. « Tapez mon nom sur Internet, il y a plein de trucs sur moi. J'ai même tourné dans un clip de rap, vous savez ? C'est pas si mal, Internet en fin de compte. »
>>> Le kiosque de Bolek, place Franz Liszt, ouvert dès l'aube et jusqu'à la tombée de la nuit.
© Emmanuel Chirache
© Emmanuel Chirache