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Alain et le vin, ou propos sur le bonheur
« Vous entendez les gens déglutir et le vin qui va bien. » Une parfaite osmose de table et un bonheur qui suit les traces de la bonne vie. Dans son commerce, Alain presse idées et raisins. C'est le caviste de la rue Alibert, à quelques effluves du canal Saint-Martin. La rencontre d'un caviste est toujours un moment particulier. On s'attend à certains types, comme le bourru qui s'exprime par les sens et qui fait du vin une évidence en vous contant les différentes histoires de famille des vignerons, ou encore le poète, rythmant ses explications d'odes aux gros grains. Celui qu'on a rencontré est presque pareil, mais pas tout à fait.
Alain est issu d'une famille d'immigrés chinois qui a fait carrière dans la maroquinerie. Jusqu'ici du cuir, mais pas de raisins. Curieux, ouvert, gastronome, l'homme d'affaires tanne son chemin au fur et à mesure des rencontres. Quelques verres dans le Bordelais, et Alain trinque avec la profession. Ce qui l'intéresse lui, c'est le négoce. Il est vrai que son sens du dialogue est particulièrement développé. Son énumération d'anecdotes personnelles s'espace d'une abondante découpe de saucisson ardéchois et d'explications quant à la nécessité de « vendre des belles choses et de ne pas transmettre des sales choses ». Alain s'attache à la beauté et à la bonté d'un produit, il ne sépare jamais le vin de la gastronomie et de l'amitié, arguant que « le bon goût est universel ».
A une lettre près, il tisse aisément des liens entre vin et vie. Il s'aventure d'idées en idées, retraçant des bribes de son parcours, rendant grâce à Marcel Joubert, son dieu du Beaujolais, qui rendit à cette appellation populaire ses lettres de noblesse. Dans son éloge de la vie on retient deux phrases d'Alain : « Les vins sont vivants » et « Le corps humain est extraordinaire, il nous permet de ressentir profondément le vin ». Ses actions ne sont pas en reste, il s'emploie à une véritable chasse aux sulfites, favorisant les vins naturels qui constituent 90 % de sa cave. Au détour de diverses explications sur sa vision du vin, on en vient à l'immigration chinoise en France. Faute à une journaliste un peu trop curieuse, le développement sur l'Empire du milieu nous mènera finalement sur la voie des astres. Grâce à ses croyances bouddhistes, le caviste nous explique qu'il appréhende la culture du vin autrement, il s'intéresse à la viticulture biodynamique, qui utilise les phases lunaires et les astres pour mieux servir le vin. Le karma intervient, dès lors que la vigne est traitée respectueusement, son goût ne peut qu'être respectueux de votre palais.
Alain veut nous apprendre le vin, nous montrer qu'il est accessible, qu'il suffit simplement de prendre le bon chemin. La porte d'entrée de sa boutique est la première étape. Le chemin si régulier du canal Saint Martin-Monoprix-bouteille à 6 €-Doliprane, que vous avez l'habitude d'emprunter se doit de bifurquer en canal Saint Martin-Au Quai-bouteille à 6 €-sourire, après lecture de cet article. Car notre camarade nous l'assure en pointant du doigt le Brouilly de son mentor : « Vous pouvez en boire autant que vous voulez, le lendemain vous serez frais comme un gardon ». Et ce n'est pas Jacky Georges, peintre en lettres et figure de la vie parisienne, qui dira le contraire. Après quelques minutes de discussion, celui qui a peint les enseignes de centaines de commerces parisiens débarque avec son poulet en plastique couinant et ses lunettes lumineuses. Très vite, le trottoir de la boutique se transforme en place du village, d'un côté le journaliste discutant champagne et paysages avec un producteur venu livrer ses caisses et de l'autre côté, Jacky, maître de bonne vie, affichant fièrement sa trombine dans le dernier Ouest France. Faire un tour Au Quai, c'est goûter à « l'école de la vie et de l'amitié ».
Lise Gibet