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« Le film sonne creux. » « Un néant glacé. » Voilà ce qu’on pouvait lire sur les sites du Figaro et du Monde fin mai, tombés d’accord suite à la projection du dernier long métrage de Nicolas Winding Refn, ‘The Neon Demon’. Déjà largement attaqué pour son formalisme en 2013 à Cannes, où il présentait l’excellent et sous-estimé ‘Only God Forgives’, le réalisateur danois essuyait cette année encore les plâtres d’une critique friande de scénarios denses et d’un cinéma d’auteur qui se doit d’être visuellement humble (disons plutôt : sans aspérités). La plupart de ces critiques ayant probablement découvert NWR avec son film le plus consensuel et « hollywoodien », primé sur la Croisette : ‘Drive’.
Dans ce contexte cannois, sûr que le cinéma radical, poseur et archi esthétisant de Refn a plutôt fait entendre ses détracteurs que ses admirateurs (dont je fais partie), eux aussi déboussolés par ce démon de néon. Et pour cause : un film sur la mode (sujet rebattu au cinéma et ailleurs), traité de manière essentiellement visuelle et finalement assez arrogante. Comme un doigt d’honneur au cinéma bien réglé, inoffensif et largement distribué en salles. A la sortie d’une des projections presse parisiennes de ‘The Neon Demon’, me voilà troublé, remué et terriblement dubitatif. Impossible de savoir si j’ai aimé ce film ou non. Mais je suis assurément dans un état second. A la sortie de la salle, je croise Alejandro Jodorowsky (oui, la journée a été bonne), qui me confie sa perplexité. Jodo, perplexe devant un film de Refn, qu’il connaît pourtant bien et avec lequel il partage une symbolique forte et le goût du mystique ?! Me voilà à moitié rassuré, et en même temps interloqué par cette expérience, dont certaines images vont me suivre une bonne partie des jours suivants. Un autre spectateur croisé à la sortie, indigné, démonte le film pièce par pièce : l’image de la femme, la scène de nécrophilie, le discours sur la beauté… Tout lui a déplu. D’ailleurs, il avait aussi détesté ‘Only God Forgives’.
Le problème, c’est peut-être que, plus que de ne pas avoir compris le dernier NWR, il l’a sans doute pris pour ce qu’il n’est pas (un film sociétal ?). Dans ‘The Neon Demon’, la porte d’entrée est uniquement visuelle. Y chercher du sens s’avère peut-être aussi vain que de se lamenter sur l’abstraction d’un tableau : cette forme d’art ne peut que s’y déprécier. Ce film se prête moins à l’interprétation intellectuelle qu’au simple plaisir de le visionner avec son corps, pour le ressentir physiquement, chimiquement. Et donc bien différemment de la plupart des longs métrages. A défaut de « néant » ou de « creux », sa profondeur réside justement dans cette autre manière de regarder. Car en même temps qu’il raconte visuellement l’initiation d’une jeune mannequin (Elle Fanning) débarquée à Los Angeles, il procède à l’initiation du spectateur à une forme inédite de cinéma où fond et forme deviennent indissociables. La scène finale, où un œil est impliqué, est d’ailleurs limpide de ce point de vue – un clin d’œil à son livre ‘L’Art du regard’ ? Sublimer à l’écran son actrice principale, figure de la Pureté face à un monde des plus artificiels et nauséabonds, est déjà un discours riche, à défaut d’être original. Refn semble d’ailleurs convoquer cette puissance immédiate du cinéma muet, revenir à des archaïsmes pour mieux eux-mêmes les transcender, dans un film largement maximaliste. On l’imagine bien, dans quelques années, lâcher un peu le registre pop qui est encore le sien pour essayer l’art vidéo – pas sûr que ce soit souhaitable, au final.
Alors c’est sûr, tout a déjà été raconté, et NWR ne nous fera pas découvrir la laideur de ce métier de la beauté. Mais il l’illustre comme lui seul sait le faire, dans un déluge de symboles (triangles, miroirs) et avec une perfection esthétique insolente. Voilà avant tout pourquoi il faut aller voir ‘The Neon Demon’ (en salles le 8 juin), expérience riche et complexe, rare au cinéma. Pour se faire son propre avis et, pourquoi pas, jouir de sa propre indécision.