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24 décembre, comme l’année dernière et comme toutes les années précédentes, vous attendez la sentence du soir : le menu immuable appelé communément le « repas de Noël ». Vous aurez de fortes chances de manger ce soir-là au moins l'un des cinq aliments suivants : foie gras – champagne – dinde – bûche ou (comble de l’horreur) des chocolats Mon Chéri… Oui, mais pourquoi ?
1/ Le foie gras
Si le foie gras est l’un des aliments les plus controversés au monde (interdit de production dans de nombreux pays), les Français en sont les plus grands producteurs et consommateurs (95 % en aurait consommé en 2014 selon une enquête CIFOG/CSA 2014). Rappel rapide du sujet de la controverse : le foie gras est donc bien un foie, oui, mais plus précisément un foie d’oie ou plus souvent de canard gavé (parfois de façon barbare) pendant une quinzaine de jours. Ce que les défenseurs des animaux appellent tout simplement un « foie malade » : pas très appétissant (et pourtant si bon). Son origine remonterait à l’Egypte ancienne si l’on se fie aux fresques représentant le gavage des oies datant de cette époque. En France, il apparaît au premier siècle avant J.-C. sur la table romaine pour ne plus quitter le paysage gastronomique hexagonal. Produit de luxe, même si on en achète aujourd’hui 80 % en supermarché, il est consommé essentiellement à Noël. Si on le déguste surtout à l’apéro ou en entrée sur du pain toasté, il peut prendre toutes sortes d’autres formes saugrenues : mousse, émulsion, sucette ou encore la nouvelle recette de macarons de Pierre Hermé pour ce Noël : un macaron « figue, églantine, foie gras ». Pour les « anti-foie-malade » qui ne supporteraient quand même pas de passer à côté de ce pâté si spécial, il existe aussi du foie gras vegan – si si – c’est-à-dire un foie gras végétal comme le Faux Gras de la marque Gaia (à la mode chez nos voisins belges).
2/ La dinde
Après les petits toasts Harrys tartinés de foie gras, arrive le moment clef du dîner : l’arrivée sur la table d’un gros volatile farci, soit la dinde aux marrons (qui peut aussi être un chapon ou une oie.) Traditionnellement, les Français dégustaient bien une oie, ce qui cumulait deux avantages : le fait que ce soit une énorme volaille, parfait pour les tablées de quinze personnes et aussi qu’elle se fasse cuire à feu doux, pratique pour aller à la messe pendant qu’elle rôtissait au four. Puis les colons espagnols ramenèrent la dinde d’Amérique vers la fin du XVIe siècle et l’appelèrent ainsi, croyant avoir découvert ce volatile en Inde (logique). En plus d’augmenter considérablement notre shoot calorique du dîner, ce plat a aussi permis à Renaud d’écrire le dernier couplet de son titre "Hexagone" où il fustige les traditions françaises, des vendanges au 14 juillet en finissant par Noël avec ses magnifiques paroles : « En décembre c'est l'apothéose /La grande bouffe et les p'tits cadeaux / Ils sont toujours aussi moroses / Mais y a d'la joie dans les ghettos / La Terre peut s'arrêter d'tourner / Ils rat'ront pas leur réveillon /Moi j'voudrais tous les voir crever /étouffés de dinde aux marrons… »
3/ La bûche
Vous n’en pouvez plus, vous êtes repu, vos neveux hurlent, votre oncle Alfred a atteint le point Godwin depuis déjà trente minutes et pourtant vous devez encore enfourner le dessert incontournable : la bûche. A l’origine, la bûche n’était pas un gâteau mais bien un bout de bois que l’on posait dans l’âtre de la cheminée le soir de Noël, et que l’on arrosait de vin dans certaines régions pour assurer de bonnes vendanges, ou de sel pour se protéger des sorcières. La disparition des âtres marque la renaissance au XXe siècle de ce gâteau roulé, fourré d’une crème au beurre, d’une ganache chocolat, café ou vanille, surmonté de petits pères Noël et autres sapins en plastique, prenant donc la forme d’une bûche. Ceci dit, depuis une dizaine d’années et le développement des pâtisseries de plus en plus élaborées, les bûches de pâtissiers rivalisent d’originalité. Un exemple ? La bûche de Lenôtre créée cette année en collaboration avec l’atelier Petit h d’Hermès. Faite à base de meringue aux amandes, de mousse et de ganache au chocolat Yuzu, elle ressemble plus à une sculpture dadaïste qu’à un vulgaire morceau de bois et elle vous coûtera quand même la modique somme de 130 € pour dix personnes, soit treize fois le prix de la bûche surgelée de chez Picard.
4/ Le chocolat Mon Chéri
Pire que la bûche, il est possible que l’on vous propose un chocolat fourré à la liqueur. Que celui qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui aime les Mon Chéri lève la main. Et pourtant, qui ne s’est pas déjà vu offrir ce petit chocolat répugnant fourré à la liqueur de cerise et emballé individuellement dans un emballage rose très festif ? Ce chocolat arrivé sur le marché français en 1960 a sans aucun doute été créé pour que votre collègue le plus fourbe puisse vous faire un cadeau tout en marquant son inimitié. Si par désespoir vous espériez utiliser ce biais pour vous saouler, n’écoutez pas la légende urbaine qui prétend qu’il suffit de deux Mon Chéri pour être ivre, selon les calculs très précis de Grégoire Fleurot, journaliste chez Slate, il faudrait en ingérer quarante.
5/ Le champagne
Comme la vie est bien faite et que ce mélange de plats indigestes nécessite un peu de liquide pour permettre de les faire glisser, Noël est aussi le moment où l’on boit (beaucoup) de champagne. Sous la Rome antique, les romains plantent des vignes en Champagne, puis au Moyen Age c’est dans les monastères que se développe la viticulture. La légende raconte qu'on doit la paternité de l'invention du champagne à Dom Pérignon, moine de l'abbaye de Hautvillers, dans le dernier quart du XVIIe siècle. Il faudra ensuite quasiment deux siècles pour comprendre son mécanisme et mettre au point les techniques permettant d'obtenir cette boisson si fameuse. « Champagne » serait d’ailleurs le deuxième mot français le plus connu au monde, ce qui en dit long sur notre réputation d'alcooliques.
Tout cela ne vous empêchera certainement pas de vous gaver à Noël, mais au moins vous saurez d'où ça vient.