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Rencontre avec le dernier hôte en date de la Maison Rouge
Hervé Di Rosa est un artiste bon vivant qui appartient à la famille de l’art contemporain français depuis les années 1980. Animé par les questions que posent ses œuvres « modestes », il parle avec hâte et son accent raconte d’anciens soleils : ceux d’avant les voyages, ceux d’avant les 'Dirosamondes'. Mais encore aujourd’hui, l’artiste sétois est entouré d’artistes sétois (il est rejoint par Aldo Biascamano pour une performance à la Maison Rouge le soir de notre rencontre) et sa peinture sans « p » majuscule implique l’authenticité de la démarche et un rapport à l’autre fraternel. Son exposition 'Plus jamais seul' rassemble des œuvres qu’il a réalisées dans le monde entier et ses collections de jouets en plastique. Alors on a parlé artisanat, kitsch et solitude.
Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette exposition ?
Le but de cette exposition était un peu de survoler mon travail. Faire une rétrospective de mes peintures, de mes sculptures, de mes dessins animés ou de mes livres, ne voudrait rien dire parce que mon œuvre est protéiforme. Elle comprend aussi ce que j’accomplis au MIAM [Musée International des Arts Modestes, que l’artiste a fondé à Sète, NDLR] et mes propres collections. Au départ, c’était l’idée d’Antoine de Galbert qui organise chaque automne une exposition dédiée à des collections. Le plus souvent, il se lie avec de grands collectionneurs internationaux, comme c’était le cas pour Rainer qui possède une collection d’art brut et pour Jean-Jacques Lebel qui a également une collection extraordinaire. Mes collections à moi ne valent rien, ce sont des trucs en plastique !
Vous dites que vous peignez « pour créer les rêves que vous ne faites pas »*. Y a-t-il des objets qui vous font rêver mais qui manquent à vos collections ?
Ce sont des livres la plupart du temps. En ce moment, je cherche les premiers albums du journal de Spirou des années 1940.
Pour vous qui parcourez le monde en permanence, c’était aussi l’occasion de réunir un grand nombre de vos œuvres à Paris.
C’est vrai, ma dernière grande exposition à Paris remonte à 1988. C’est rare de se voir donner autant de surface et autant de moyens. La différence c’est que, dans les années 1980, Antoine de Galbert me voyait comme une « star » dont le travail était commercial. Il en était resté là. Depuis, il a appris à connaître réellement ma démarche et cette fois-ci, il a tenu à faire le commissariat de mes œuvres avec son équipe. Moi, j’ai fait le commissariat de mes collections et surtout de la salle consacrée au MIAM pour laquelle il a fallu que je synthétise des années de travail. Ce que montrent les couleurs de cette salle, c’est que chaque année on y montre des œuvres de ma collection – comme des scories qui traversent le temps.
Pourquoi l’exposition s’appelle-t-elle « Plus jamais seul » ?
Je voulais faire quelque chose qui serait le contraire de ce que dit Sartre lorsqu’il dit que « l’enfer, c’est les autres ». Pour moi qui ai participé à des aventures collectives toute ma vie, et même si elles se sont parfois mal terminées, c’est de là que se dégagent les énergies. Je collabore toujours avec des artisans plus ou moins nombreux : quand je vais au Cameroun par exemple, je travaille avec trois ou quatre ateliers en même temps, ce qui représente beaucoup de gens. Et c'est en ça que je trouve de la richesse. Penser que le paradis c’est les autres, c’est aussi une contre-lecture de la starification d’aujourd’hui, de la concurrence.
Tout compte fait, dans votre histoire, vous n’avez jamais été un artiste soliste. Pourquoi utiliser cette formule « plus jamais » ?
Vous savez, un peintre est toujours seul. Tu es seul dans ta peinture, tu angoisses. C’est pour ça que j’ai engagé une aventure autour du monde, et le MIAM aussi. J’ai envie de partager, de fédérer. Tout seul, on n’est rien. Finalement, tous ces projets sont des prises de position politiques, qui ne se résument pas à une vision optimiste du futur, mais qui témoignent d’une tentative pour voir les autres, pour être avec eux. Cette recherche correspond à mon désir de comprendre. J’ai commencé ça au début des années 1990 et je m’aperçois aujourd’hui à quel point cette façon de faire était importante. Les gens se referment sur la France, leur vision de l’Europe a changé. En y réfléchissant, ce n’est pas pour donner l’exemple mais pour donner mon point de vue de comment on peut faire…
L’histoire de l’art a longtemps associé le geste d’accumulation et les cabinets de curiosités à la mélancolie. Est-ce que cela peut s’appliquer à votre œuvre ?
C’est vrai, car lorsqu’on regarde bien, mes créations se trouvent toujours sur le fil de la rigolade et du tragique. Dans l’exposition, on peut voir quelques-unes de mes œuvres antérieures, comme dans la salle « Classic », qui réunit des œuvres réalisées quand j’avais entre 20 et 25 ans, et que les gens ne regardaient pas bien et identifiaient comme de la bande dessinée. Mais ce n’est pas du tout ça, il y a une tension que j’essaye de dominer par l’humour.
'La Rue des pauvres' propose un dispositif qui se distingue des autres dans l’exposition. Pouvez-vous nous en parler ?
Il s’agit d’un dispositif créé pour la Fiac en 1993 pour la galerie Louis Carré. On avait un très grand stand et c’était un couloir qui menait à des icônes. Mais j’ai créé le sol pour La Maison Rouge. Ce n’est pas un truc sur la société ou sur la pauvreté. C’est plutôt un regard sur l’imagerie misérabiliste. Le spectateur traverse aussi mon œuvre dans le cabinet de curiosités et dans l’aquarium au sous-sol.
Y a-t-il une œuvre de l’exposition à laquelle vous êtes particulièrement attaché ?
Je dirais la ‘Dirosapocalypse’. Je l’ai peinte en public quand j’avais 24 ans à la Comédie de Caen, là où ils fabriquent les décors de théâtre. Elle a ensuite été montrée à la Biennale de Paris en 1987. Elle appartient à l’Etat donc je ne l’avais pas revue depuis un moment. Il y a aussi des travaux que j’ai réalisés au début des années 1990 que personne ne connaît en France et que je suis très heureux de montrer !
Il paraît que vous aimez tout particulièrement les artistes dont l’esthétique est très différente de la vôtre. Quels sont les artistes contemporains que vous chérissez ?
En effet, j’apprécie le travail de Claude Viallat par exemple, ou celui de Manuel Ocampo.
D’ailleurs, votre pratique même montre que vous ne reculez devant rien. N’y a-t-il pas de techniques qui vous effraient ?
Il y a des choses qui me font envie mais pour lesquelles il me faut du temps et de la réflexion, ou encore trouver les bonnes personnes et les bonnes connexions. Par exemple au Mexique, où j’ai fait mon premier voyage en 1989, il m’a fallu presque dix ans avant de trouver les bonnes opportunités. J’ai commencé le projet en 1999. Quand je voyage, j’ai déjà en tête telle ou telle technique. C’est pragmatique, je me documente énormément. On me propose aussi des choses. A Lisbonne j’ai appris à faire de la céramique moi-même. […] Malgré tout, au bout de dix ans de voyages, j’ai créé une sorte d’habitude. C’est pour cela que je suis allé à Miami, pour me débarrasser de la dimension « exotique. » Je voulais rester en Occident, mais pour m’intéresser à un lieu où il n’y a pas de tradition culturelle. Je dis souvent que le travail de la résine c’est la matière du rêve américain.
Est-ce qu’Internet vous a insufflé une nouvelle façon de (cyber-)voyager ?
Pas vraiment. Sur Internet, il y a tout et mais il n’y a rien. Ce sont toujours les mêmes images. Je recherche des choses pointues qui sont un peu difficiles à trouver sur Internet.
Vous n’avez pas l’air de connaître la panne d’inspiration.
Non, au contraire, pour moi c’est plutôt le manque de temps ! Je me bats avec le temps. Je suis un passionné de technique. Au Gana la peinture en bâtiment, au Vietnam la laque, en Israël les aquarelles... Il ne faut pas que je m’ennuie pour que mes peintures soient bonnes. Sinon, ça se voit. Il faut que je trouve un truc qui m’excite un peu. C’est aussi pour cette raison que je travaille sur plusieurs pièces en même temps. Une série à Lisbonne, une à Paris...
Et vous en arrivez à cette question : « Le moche peut-il être beau ? »*. Pourquoi vous la poser ?
Parce que l’histoire de l’art modeste est celle d’un combat du bon goût contre le mauvais goût. On s’aperçoit que le bon goût est lié aux modes, au social. Je dis que le kitsch en particulier, ce sont les riches qui s’amusent du goût des pauvres. L’art modeste permet d’aimer un objet que tout le monde trouve minable. Or il n’y a ni second degré ni cynisme dans l’art modeste, si tant est que cet objet te fascine, t’apporte nostalgie, émotion, ou qu’il te plaît formellement... Mais il faut conter l’histoire de l’expression « art modeste », qui est née dans les années 1980 et qui voulait prendre le contrepied de ce qui se passait dans l’art contemporain. Mais cela doit simplement permettre aux gens de détourner le regard de ce qu’on leur montre. Une étagère dans les toilettes ou des objets qui n’ont aucune valeur dans une salle de bains : c’est ça aussi l’art modeste. Ce que l’on trouve de côté, en périphérie. Ce n’est pas un genre, ce n’est pas un mouvement. C’est un regard, qui est le mien et que je veux partager. Je voudrais essayer de l’engager chez les autres.
Pour finir, on peut dire que votre exposition à La Maison Rouge tombe à pic : il y a d’une part des expositions à Paris qui font réellement écho à votre travail, et de l’autre une exposition de vos œuvres…
Oui, j’ai trouvé l’exposition ‘The Color Line’ extra. Je n’ai pas vu l’exposition ‘Mexique’ parce que c’est quelque chose que je connais bien, mais j’ai écrit un texte pour celle de Bernard Buffet. Et la galerie Louis Carré montre sept de mes peintures grand format jusqu’à mi-janvier…
Retrouvez les œuvres de Hervé Di Rosa à la Maison Rouge jusqu'au 22 janvier 2017.
* 'Hervé Di Rosa, Paroles d’artiste', Editions Fage.