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Du 23 février au 19 mars, Astro présentera son premier solo show à la galerie du Loft du 34. Pour l’occasion, l’artiste a accepté de répondre à nos (nombreuses) questions.
C’est au milieu des toiles en cours d’accrochage, soigneusement emmaillotées dans du papier bulle par leur « papa » Astro, que l’on a retrouvé ce dernier. Après avoir parcouru le monde entier – ornant, à chacune de ses escales, les façades de compositions sinueuses et d’illusions d’optique –, après avoir réalisé l’un des onze murs parisiens attribués par la mairie à une poignée de street artistes – aux côtés de Zenoy, Hopare et dAcRuZ notamment –, et après une exposition collective au Loft du 34 cet automne intitulée ‘Home Staging’, cet hyperactif de l’aérosol inaugure enfin sa première exposition personnelle. Une consécration qui n’entame cependant pas l’humilité de ce prolifique autodidacte, membre du très influent crew CBS de Los Angeles.
Comment es-tu tombé dans la marmite du street art ?
A vrai dire, je suis plutôt tombé dans la marmite du graffiti avant de tomber dans celle du street art. Je faisais du tag et du vandale à la base. Ca a commencé en 2000, j’avais 17 ans et j’étais avec un ami en vacances. Lui taguait déjà, il m’a tendu un spray pour essayer et depuis ce jour-là je n’ai jamais lâché l’affaire.
Et quelles étaient tes premières œuvres ?
Comme à peu près tous ceux qui commencent le graffiti et le tag, je faisais des signatures un peu à l’arrache. Puis, un peu de lettrage que j’ai ensuite voulu faire évoluer pour qu’il soit plus technique, plus esthétique. Je me suis alors mis à faire du « wildstyle », autrement dit des graffitis plus élaborés, avant de dériver vers l’abstraction où les lettres avaient disparu, il ne restait plus que des formes. A partir de ça, je me suis dit : « Pourquoi ne pas créer des illusions d’optique ? » pour emmener mes formes dans une autre direction, moins plane. C’est ainsi que sont nés mes vortex et mes perspectives d’aujourd’hui.
N’y a-t-il pas eu un élément déclencheur, un événement dans ta carrière qui t’a fait basculer dans les vortex, justement ?
Les œuvres de mes débuts manquaient de profondeur : je faisais des formes plates, sans relief, sur des murs tout aussi plats et cela commençait à me démanger de faire des dessins plus en volume. Un jour, j’ai participé à un projet intitulé H.O.M.E 2 où, comme au Black Supermarket, je devais peintre tout, entièrement, même le sol et le plafond. Je me suis donc retrouvé dans un endroit plein de perspectives et lorsque j’ai pris la photo du résultat final [Astro sort alors son téléphone pour nous montrer le cliché en question, ndr], fait d’ombres, de renfoncements et de creux, je me suis dit que j’allais transposer ça sur toile.
Comment fais-tu pour rendre cette impression de 3D aussi saisissante ?
En fin de compte, ce sont les ombres mais surtout les tracés qui donnent le volume. Tu vois les lignes, avant je les faisais droites par rapport au sol. Maintenant, elles sont plus courbes, plus fluides, elles épousent la forme du globe si je dessine un globe…
Comment as-tu eu l’intuition de cette technique ?
A force d’observer et de dessiner, on apprend tout seul (rires). Les perspectives, je les expérimentais déjà en faisais du tag, à présent je les associe simplement avec mes arabesques et mon style. Mais j’ai quand même pris quelques cours : il y a dix ans, par exemple, j’ai suivi une formation pour apprendre à faire les faux bois, les faux marbres, les fausses briques, etc. Je voulais me perfectionner et découvrir des techniques nouvelles, celles des peintres en décors et des trompe-l’oeil. Mais ce n’est que récemment, après les avoir un peu mises de côté, que j’ai intégré ces méthodes plus « artisanales » à mes compositions, que je les ai alliées à mon graffiti.
Pourquoi avoir attendu une décennie pour les pratiquer concrètement ?
Actuellement, j’ai des envies de texturer ma peinture. D’oublier un peu les fonds blancs, les aplats graphiques, très graffiti, et de créer quelque chose de plus vivant, plus organique dans mes arrière-plans. Pourquoi pas un effet métallique ou bétonné, comme la pierre : des matériaux qui ne se déforment pas habituellement ou très difficilement, afin de jouer sur ce contraste.
En parlant de déformer la matière, tu ne serais pas tenté de te lancer dans la sculpture, afin de faire de la 3D réelle ?
Si, carrément ! Je mets d’ailleurs un premier pas dans ce genre avec l’une des installations de l’expo ‘Immersion’ au Loft.
A ce propos, que souhaites-tu faire passer comme émotion, message ou sensations aux gens qui viendront voir l’expo ?
J’aimerais qu’ils se sentent totalement immergés – comme le titre de l’exposition l’indique –, qu’ils oublient où ils sont en regardant ma toile, qu’ils plongent entièrement dans mon univers, mon monde. Pour les amener à découvrir leur propre abstrait et s’imaginer des choses, titiller leur sens de l’observation et de l’interprétation. Certains verront un oiseau, d’autres un visage et c’est ça qui me plaît. En discutant avec eux, je vois des éléments de mon tableau que je n’avais pas perçus à la base.
Devant la minutie de tes œuvres, leurs détails, on se demande combien de temps il te faut pour une seule toile ?
Trois ou quatre jours voire une semaine pour les plus grandes ou celles qui mêlent plusieurs couleurs, le temps que les couches successives sèchent.
Ah oui, tu es rapide en fait…
Tu sais, vu que les formes que j’esquisse sont improvisées et intuitives, je les fais sans trop réfléchir et donc, ça va vite. Je ne réfléchis qu’à l’équilibre de la toile en faisant un croquis général, mais quand je la réalise c’est un peu comme de l’écriture automatique. De toute façon, je préfère quand j’avance rapidement car moins cela dure, moins je risque de faire d’erreurs, de reproduire les mêmes formes ou que mon dessin perde en homogénéité.
Puisque nous abordons le sujet de l’inspiration, quels sont les artistes qui ont pu marquer ton style ?
Bien que j’aie découvert ce peintre après avoir commencé à me lancer dans les illusions d’otique, je dirais Victor Vasarely bien sûr. Même si lui était plutôt dans des formes géométriques très symétriques alors que j’aime bien décentrer mes vortex, les rendre plus aléatoires.
Je peux également citer Alfons Mucha. Pas pour ses fameux portraits art nouveau – d’ailleurs, moi je ne représente jamais de personnes, je ne fais pas du figuratif parce que la reproduction du réel n’est pas aussi intéressante que l’abstraction de l’imaginaire – mais pour ses lignes, ses courbes et ses tracés presque végétaux, comme ceux qu’on voit sur les vieilles stations de métro parisien.
Enfin, ce n’est pas un artiste mais les monogrammes en général [assemblage de plusieurs lettres formant un seul et même dessin ou emblème, ndr] m’ont également pas mal influencé.
Tu as inventé un style mais tu as également inventé une technique : le « cellograff ». Peux-tu nous en dire plus sur cette méthode atypique ?
C’était en 2009 avec mon pote Kanos. Il avait déjà testé ce concept de tendre du cellophane dans l’espace urbain mais il ne l’avait expérimenté que pour de l’affichage. Par curiosité, je lui ai proposé de graffer dessus. Le premier cellograff que nous avons fait était sur les quais de Seine. Comme nous avons adoré ce principe de pourvoir graffer partout où nous voulions même sur des monuments, puisque nous ne dégradions rien, on en a fait plein. Et, contre toute attente, ce n’est pas plus compliqué de graffer sur un mur que sur du cellophane !
Tu réalises également des fresques gigantesques à travers le monde : est-ce que ce n’est pas compliqué de déménager ton atelier ? Comment fais-tu pour t’organiser ?
Je m’adapte, c’est le propre d’un artiste (rires). Plus sérieusement, quand tu arrives dans un pays tu n’as pas toujours les mêmes sprays, les mêmes peintures ou les mêmes rouleaux avec lesquels tu as l’habitude de travailler, mais tu dois quand même la faire, ta façade. Tu ne vas pas rester figé dans ta routine à pleurer parce que ce n’est pas pareil qu’en France. Tu as payé ton billet d’avion alors tu trouves des systèmes, des plans B, des solutions… Bref, tu fais avec et souvent c’est encore mieux parce que tu as été poussé dans tes retranchements et tu t’es surpassé. En plus, si tu fais le travail à moitié tu vas laisser une trace dont tu ne seras pas fier dans un pays où tu n’as pas forcément de notoriété et bonjour la crédibilité ! (rires)
Quelles sont alors les plus grosses contraintes que tu rencontres lorsque tu peins ces œuvres monumentales ?
La météo, parce que quand il pleut la peinture tient mal. Et le vent aussi, car quand tu es dans la nacelle à plusieurs dizaines de mètres du sol, ce n’est pas rassurant. Après, le support sur lequel je dois peindre ne me fait pas peur, au contraire, j’aime me lancer des défis. A Palm Beach, un gars m’a par exemple demandé de graffer son scooter et j’ai adoré. Du moment qu’on ne me demande pas de renier mon style, tout va bien !
Quels projets te vois-tu mener dans un avenir proche ?
Me mettre à l’architecture. J’aimerais beaucoup travailler avec des architectes : ainsi je pourrais faire des illusions dans l’illusion, des volumes inédits dans des volumes inédits. Car ce qui me plaît, c’est d’agripper mon style à des architectures différentes.
Pourquoi pas expérimenter les nouvelles technologies aussi : les hologrammes, la réalité virtuelle… J’ai d’ailleurs testé le Tilt Brush de Google [l’application de création artistique en 3D, dans un espace de réalité virtuelle, ndr] et ça me plairait de pousser l’expérience plus loin, d’immerger concrètement le spectateur dans l'œuvre. Peut-être même qu’un jour l’œuvre ne sera visible qu’avec un casque de réalité augmentée, qui sait… En tout cas, j’essaie toujours de rester informé des nouvelles manières de peindre ou d’aborder l’art, d’être ouvert et à l’affût des bonnes idées pour me réinventer sans cesse et faire évoluer mon style.
En plus de l'exposition 'Immersion' au Loft du 34, voici d'autres événements à suivre dans l’actualité d’Astro :
• Le projet 100 murs pour la jeunesse
• Le North West Walls 2017 en Belgique l'été prochain