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« Tag Clouds », c'est le nom de cette peinture murale qui remplace les graffitis anonymes par des traductions lisibles en forme de « nuages de mots-clés » comme on les trouve sur Internet.
Artiste né au Mans en 1980, Mathieu Tremblin met tout de suite les choses au clair concernant son travail : « Il ne s'agit pas de rendre lisibles des "graffitis hideux" mais de transformer un hall of fame de tags en nuage de mots-clés. Il n'y a pas de jugement de valeur sur la qualité des tags ou sur celle des typographies, mais une traduction d'un langage vers un autre. Mon intention n'est pas de rendre la ville plus propre, il s'agit d'amener les passants à prêter attention aux tags et de rendre hommage à la scène graffiti locale. »
Si la mise au point s'avère nécessaire, c'est que ce projet dénommé Tag Clouds est devenu viral sur le web via le site Designyoutrust, qui a publié les photos sans crédit sous le titre : « Un mec peint par dessus les graffitis de merde et les rend lisibles. » Un contresens pour l'artiste, qui au contraire cite Jean Baudrillard pour réhabiliter ces tags a priori banals, repères quotidiens pour le navigateur urbain. « Irréductibles de par leur pauvreté même, écrit donc Baudrillard, les tags résistent à toute interprétation, à toute connotation, et ils ne dénotent rien ni personne non plus : c’est ainsi qu’ils échappent au principe de signification et, en tant que signifiants vides, font irruption dans la sphère des signes pleins de la ville, qu’ils dissolvent par leur seule présence. »
« Celui qui est capable de décrypter les tags acquiert une connaissance inouïe de la ville »
C'est probablement ce caractère hermétique du tag, destiné à une communauté d'adeptes seuls capables de le lire, qui le rend indésirable, sale, nuisible pour nombre de riverains. Pourtant, Mathieu Tremblin y voit à l'inverse « un marqueur de cheminement : le marqueur d’une ville augmentée par la pratique quotidienne de ses usagers. » D'où ce travail sémantique pour associer les deux significations du mot « tag », à la fois peinture murale et mot-clé du web qui permet à l'internaute de naviguer. En peignant le tag comme un mot-clé, Mathieu Tremblin dévoile l'utilité véritable de ces signatures cryptiques.
« Contrairement à une idée répandue selon laquelle la ville appartient aux tagueurs – le geste interprété comme propriétaire puisque relevant de la signature –, analyse l'artiste, il serait judicieux de reconsidérer que ce sont les tagueurs – et surtout leurs tags – qui appartiennent à la ville. Et celui qui est capable de décrypter les tags et, avec l’expérience, de resituer dans l’espace-temps de leur développement la succession des tagueurs qui ont vécu ou traversé un territoire, acquiert une connaissance inouïe de la ville. » Force est de constater que l'œuvre de Mathieu Tremblin nous oblige à reconsidérer ce que notre œil ne voyait même plus et que la vogue du street art avait repoussé dans les limbes du bruit visuel. Vous ne verrez plus le petit graffiti de parking ou le tag de rideau de fer comme avant.