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Pendant plusieurs siècles, les immeubles des beaux quartiers de Paris ont présenté une certaine mixité sociale en leur sein même. Les aristocrates habitaient les premiers étages et leurs domestiques ceux les plus élevés. Puis ce fut le tour des grands bourgeois et de leurs bonnes, parfois remplacés par des artistes ou des étudiants. Perchés aux cinquième, sixième, septième étages sans ascenseur, ces combles ont conservé leur vocation « sociale », car ils abritent encore les Parisiens les moins privilégiés. Ils ont souvent conservé aussi leur état, vétuste et délabré. Il ne faut pas attendre d'une chambre de bonne autre chose qu'un toit pour dormir au chaud, ou presque.
Un pis-aller qu'on ne trouve presque nulle part ailleurs dans le monde, et qui explique pour une modeste part l'attractivité de Paris pour la jeunesse de France ou d'ailleurs. Un récent classement du cabinet d'études britannique QS classe même la capitale française comme la meilleure ville possible pour un étudiant. Nous avons rencontré deux étudiantes, Margaux et Célia, et un étudiant, Mickaël, qui occupent aujourd'hui ces lieux mal commodes mais qui restent une solution efficace dans un contexte de crise du logement, malgré l'encadrement des loyers entré en vigueur en 2015. Plutôt heureux et satisfaits de leur sort, ils ont toutefois conscience de faire de grands sacrifices provisoires pour rester en ville, près de leur université, près de leurs amis, là où les choses se passent. Entretien avec ceux qui vivent au septième ciel.
Pourquoi une chambre de bonne ?
Célia : « La coloc', j'ai testé et j'ai trouvé ça bof. Sinon, le CROUS, c'est trop dur, c'est le loto pour dégoter quelque chose ! En gros, soit tu vis chez tes parents mais c'est chiant, soit ils sont riches, soit tu dépenses tout ton argent dans ton loyer. Reste l'option chambre de bonne. »
Margaux : « Je n'ai jamais fait de colocation, ça fait quatre ans que je vis seule, donc quand je suis arrivée à Paris il y a deux ans, ça me paraissait logique de continuer. »
Mickaël : « Cette chambre de bonne appartient à mes parents, qui vivent quelques étages plus bas. C'est là que j'ai vécu quand j'étais étudiant, puis je suis parti ici ou là, j'ai vécu en Argentine l'année dernière et quand je suis revenu, c'est le seul endroit décent où je pouvais habiter à Paris. »
Célia : « Avant de trouver cette chambre, j'ai vu des trucs honteux. Une fois, je suis tombé sur un marchand de sommeil, je pense, parce qu'il y avait 5 personnes qui vivait dans un 9 m2, humide et sale, avec de la terre sur le sol. De la terre ! Les fringues séchaient dans le couloir. »
Margaux : « Mon premier appart se trouvait à Charonne, mais c'était atroce, un rez-de-chaussée sans chauffage, avec de l'eau tiédasse et une moquette infâme sur les murs, alors j'ai cherché autre chose et j'ai eu de la chance de tomber sur cette chambre à Sentier, à deux pas de mon petit boulot de serveuse. »
Les propriétaires
Célia : « Pour avoir l'appart, j'ai envoyé une espèce de lettre de motivation au propriétaire. J'ai dû me vendre, je déteste ça. Dire des trucs pour faire bien, du genre "Je suis étudiante à la Sorbonne, blablabla"... »
Margaux : « Le proprio est très sympa, c'est un ancien vendeur de tissus du quartier. Bon, il n'est pas toujours facile à joindre. Là par exemple, il faut que je lui parle du frigidaire qui est mort depuis une semaine, et impossible de le contacter ! »
Mickaël : « Les propriétaires sont mes parents, ça facilite les choses. Par exemple, ils ont fait des travaux récemment pour qu'il y ait une douche et les toilettes dans l'appartement, pas sur le palier. Du coup, c'est presque confortable comme situation. »
Célia : « Je suis tombé sur un proprio plutôt cool. Il m'a dit : "Je préfère louer à des filles parce qu'elles sont plus sérieuses que les garçons." Il est gentil, mais un peu intrusif, il m'avait aussi fait une remarque étonnante en me prévenant : "En revanche, le lit, c'est une seule personne, hein, attention." J'ai pas relevé. »
La chambre de bonne
Margaux : « La chambre est au 5e étage sans ascenseur, elle fait 15 m2 et je paye 600 euros. Le quartier est central et cool, donc ça va. »
Célia : « Je suis contente d'avoir trouvé un appart dans le 9e arrondissement, pas loin de Pigalle et de Saint-Lazare, parce que tous mes amis qui louent une chambre de bonne sont situés dans le 16e ou le 8e, des quartiers pourris. Ici, je paye 450 euros pour 11 m2. »
Mickaël : « D'un point de vue financier, une chambre de bonne ou un studio, c'est une aubaine pour les proprios mais c'est un très mauvais rapport qualité/prix pour un étudiant en réalité. On paye le mètre carré plus cher que dans un duplex de 200 m2. »
Les galères
Célia : « C'est minuscule, dès que tu laisses traîner un truc, c'est le bordel. L'été, il fait 45 degrés, l'hiver -15... Et puis c'est poussiéreux de ouf. En fait, c'est un très vieil immeuble, le propriétaire a dû refaire les canalisations, qui étaient trop anciennes. Pendant une petite période, l'évacuation des toilettes arrivait dans ma douche, quand même. »
Margaux : « J'ai seulement 12 minutes d'eau chaude. Impossible de prendre deux douches en une journée. J'ai pas de four, seulement une plaque électrique, heureusement que je ne cuisine jamais ! Il y a quelques mois, j'ai sous-loué l'appartement à un couple qui a pété mon clic-clac. La machine à laver est décédée, aussi. »
Célia : « Le chauffage me coûte beaucoup trop cher, alors je me couvre, je porte un survêt', un pull, deux paires de chaussettes... Bon, le voisin du dessus chauffe bien mon appart aussi, alors ça va. Evidemment, il y a plein de petits soucis, mais c'est pire chez mes amis. »
Margaux : « On tient à 7 personnes maximum dans la pièce, à condition de ne pas bouger. Du coup, je n'invite pas trop d'amis. Je suis la seule à me servir des toilettes dans le couloir, je dois nettoyer moi-même d'ailleurs. »
Célia : « Les escaliers, on s'y fait. Mais quand j'ai oublié mon pass Navigo chez moi, je peux te dire que je ne remonte pas pour aller le chercher. Déjà, un pack de lait, c'est la galère. Je peux ouvrir la fenêtre ? J'ai super chaud, ça y est, il fait 1 000 degrés. »
Les voisins
Margaux : « J'entends les engueulades de ma voisine sous ma douche. C'est une femme de 40 ans avec un gamin, elle ramène des mecs régulièrement et elle s'engueule avec eux. »
Mickaël : « Il y a dix ans, quand j'étais étudiant, il n'y avait quasiment personne sur tout l'étage. Aujourd'hui, toutes les chambres sont occupées par des locataires. Hier, une petite nana de 20 ans est venue sonner à ma porte. Sympa. »
Célia : « C'est mal insonorisé, alors j'entends tout, mon voisin faire pipi, les nanas qu'il emmène chez lui. Ce n'est pas évident, surtout qu'il y a des travaux en permanence, à tel point que j'ai l'impression que les types plantent leurs clous chez moi à 9h du matin. Je crois souvent qu'on toque à ma porte, mais en fait, non. »
Margaux : « J'ai déjà croisé ma voisine alors que j'étais en culottes pour aller aux toilettes. »
Célia : « Ma mère, qui est corse et qui vit dans autrement plus d'espace, est venue me voir. Pour elle, c'est impensable de vivre dans un endroit si petit. Elle pleurait presque : "Ma pauvre fille, où tu vis ?" C'est pas une vie, pour eux, mais pour moi c'est ma maison, j'essaye d'en faire un truc vivable, un petit chez-soi comme tout le monde. »
Article initialement publié en décembre 2014.
© EChirache