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Vous reprendrez bien un peu de béarnaise, Monsieur Le Président ?

Écrit par
Zazie Tavitian
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Us et coutumes à la table des présidents français de la Ve République.

2013, Bernard Vaussion, chef cuisinier de l’Elysée, part à la retraite après quarante années de service. Tous les médias sont sur le pied de guerre pour l’interviewer. Il faut dire qu'il a quasiment côtoyé tous les présidents de la Ve République. Chirac mangeait-il de la tête de veau à tous les repas ? Mitterrand se goinfrait-il vraiment de caviar aux frais du contribuable ? Pourquoi Pompidou voulait-il couper son poulet tout seul ? Tant de questions « people » qui semblent tarauder les médias. Pourquoi nous, peuple français, l’un des premiers à avoir coupé la tête de notre souverain, sommes-nous fascinés par ce qu’ingèrent nos chefs d’Etat ? Peut-être tout simplement parce que cela raconte beaucoup de choses sur la vie politique française.

« C’est peut-être un peu moins le cas maintenant, mais pendant longtemps beaucoup de choses se décidaient à table »

Jean-Maurice Sacré, collectionneur de menus présidentiels, passion qu’il a attrapée en traînant sur les brocantes et qu’il cultive depuis près de trente ans, s’intéresse à ces repas d’un point de vue historique. Parmi ses « prises » préférées, le seul repas donné dans la voiture-restaurant où fut signée l’armistice de 1918, voiture qui fut offerte à l’Etat, et où le président Alexandre Millerand, les maréchaux Foch et Joffre déjeunèrent lors d’un voyage inaugurant « la Tranchée des Baïonnettes en » 1920 (on y mangea ce jour-là des filets de sole, des côtelettes d’agneau, des perdreaux rôtis, de la salade et un parfait praliné).

La table, un lieu hautement politique donc ? « C’est peut-être un peu moins le cas maintenant, mais pendant longtemps beaucoup de choses se décidaient à table, explique Jean-Maurice Sacré, c’est aussi l'endroit où la gastronomie française peut rayonner, avec des produits d’une grande qualité. »

Ce n’est pas Bernard Vaussion, cuisinier pendant quarante ans au Palais, qui dira le contraire, Arrivé dans les cuisines de l’Elysée à 20 ans pour y faire son service militaire, il y restera jusqu’à l’âge de la retraite. Alors qu’on pourrait imaginer la tâche ingrate et répétitive, le chef dépeint tout le contraire : « On peut exprimer sa cuisine. Lorsqu’on est chef, on doit proposer plusieurs menus pour chaque événement (officiel, privé, repas d’avion). Il faut sans cesse se creuser la tête pour en inventer des nouveaux. On ne cuisine pas non plus pour les mêmes occasions, les mêmes personnes… On est là également au fort de Brégançon pour les vacances des présidents par exemple où l’ambiance est plus détendue. »

Salle de déjeuner du Palais ©zt

Contrairement à la logique républicaine, plus on est haut dans la hiérarchie plus on mange bien

Exprimer sa cuisine oui, mais pas de la même façon avec chaque président. Tout commence avec le repas d’investiture, le plus compliqué car le chef et sa brigade ne connaissent pas les goûts du nouveau venu. « L’investiture a lieu le mercredi. On essaie dès le jeudi matin de parler à la compagne du président pour savoir ce qu’il aime, ce qu’il déteste, s'il préfère un service à l’assiette ou non. » Evidemment, chaque chef ne partage pas forcément la vision du Président en place, mais comme l’explique Bernard Vaussion : « A l’Elysée, si on n'est pas content, on ne reste pas. » Pas de frondeurs en cuisine donc.

Il faut dire que la brigade de cuisine, avec ses vingt-deux cuisiniers (pas DU TOUT paritaire car constituée uniquement d’hommes), a plutôt intérêt à filer doux avec une moyenne de 250 repas à envoyer tous les jours. Les repas du Président et de ses invités bien sûr, mais aussi ceux des conseillers, des secrétaires et de toutes les personnes travaillant à l’Elysée (médecin, etc.) qui doivent rester sur place. Cela va donc du déjeuner d’Etat dans de la porcelaine de Sèvres au simple sandwich. Contrairement à la logique républicaine, plus on est haut dans la hiérarchie plus on mange bien.

Neuf cents personnes travaillent à l’Elysée (en dehors des politiques) et beaucoup sont assignées à la sécurité mais également à tout un tas de métiers d’artisanat : tapissiers, fleuristes, calligraphes... Il y a soixante personnes en tout pour la table : lingères, cuisiniers, maîtres d’hôtel, équipes qui s’occupent de l’argenterie... Avant un repas, les lingères repassent la nappe, les argentiers sortent les couverts, les passent dans des bains, les polissent, choisissent les assiettes en porcelaine de Sèvres, les verres en cristal de Baccarat. On mesure la distance entre chaque assiette, on utilise une ficelle pour que les verres soient parfaitement alignés. Le service lui se fait « à la française », le maître d’hôtel présente le plateau et les convives se servent. 

Si les équipes ne se déplacent plus au complet lors des voyages officiels pour préparer elles-mêmes les repas dans les ambassades, les cuisiniers et certains membres de l’argenterie continuent à voyager avec les chefs d’Etat notamment lors de leurs week-ends privés. François Hollande n’a pas dû avoir l’occasion de nettoyer une assiette depuis longtemps…

Menu avec pense-bêtes intégrés pour Charles de Gaulle ©coll. JM Sacré

 « Des œufs brouillés aux truffes accompagnés d'une salade d'oranges »

Parmi les anecdotes culinaires croustillantes de la Ve république, celle de la colère de Charles de Gaulle, nous raconte Jean Maurice Sacré, après qu’on lui a servi lors d’un repas officiel en 1963 des artichauts à la Clamart, soit une garniture à base de petit pois mais également le nom de la ville où il avait réchappé à un attentat organisé par L’OAS l’année précédente.

Avec Valéry Giscard d’Estaing, arrivera aussi dans le Palais la « nouvelle cuisine », celle prescrite par le Gault & Millau, « moins de plats en sauce, une cuisine plus légère ». L'un des plats favoris du Président ? « Des œufs brouillés aux truffes, accompagnés d’une salade d’oranges », se souvient Bernard Vaussion. C’est également Giscard qui honorera la première fois un grand chef du titre de la légion d’honneur : Paul Bocuse. Pour l'occasion, Bocuse créera la soupe VGE, une soupe feuilletée à base de consommé de volaille, de légumes, de foie gras et de truffe noire, toujours à la carte du restaurant. Giscard lui-même déclarait : « Ce n’est pas le soufflé qui attend le Président, c’est le Président qui attend le soufflé. »

« On a dû servir autre chose. Mitterrand était furieux »

D’autres sont moins accommodants. Ainsi Bernard Vaussion se rappelle une scène catastrophique lors d’un repas privé entre Charles Trenet et François Mitterrand : « J’avais prévu en entrée un foie gras poêlé qu’adorait le Président, un plat très simple. Le foie gras avait l’air beau, mais au moment de la cuisson ça ne prend pas. On a dû servir autre chose en entrée. Mitterrand était furieux. »

Il faut dire que Tonton, premier président socialiste de la Ve République a plutôt mauvaise réputation, jamais il ne descendra dans les cuisines saluer les chefs qui travaillent pour lui. Il prendra aussi durant son mandat une cuisinière pour ses repas privés, vexant la brigade en place (cette histoire inspirera le film 'Les Saveurs du palais' avec Catherine Frot, ndlr). A table, Mitterrand, fin gastronome, est aussi connu pour ses goûts dispendieux : « Beaucoup de poissons, de crustacés, de homard, de langouste. » Un certain goût pour le caviar aussi : « Il arrivait qu'on lui en serve en entrée. »

L’expression « Gauche caviar » viendrait d’ailleurs de là. La fourchette tranquille.

Plat servi à François Hollande par Bernard Vaussion ©BernardVaussion

Sous Sarkozy, terminée la tête de veau arrosée de château margaux 

En 1995, arrive le Président réputé pour sa gloutonnerie légendaire : Jacques Chirac. Bernard Vaussion raconte : « C’était quelqu’un de très agréable dans le privé, il venait nous saluer tous les jours. Il était très gourmand, je lui servais beaucoup de mets asiatiques qu’il adorait comme des beignets de gambas, mais aussi de l’osso buco, du saucisson ou des escargots le dimanche, avec une ration de beurre en plus, ce qu’il fallait cacher à Bernadette. »

Le style va drastiquement changer avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, président qui fera réduire de 20 % les dépenses en cuisine. Plus de tête de veau arrosée de château margaux avec ce Président qui d’ailleurs n’aime pas le vin. Carla, elle, demande à réduire le sucre : « Je vais prendre du poids si ça continue », aurait-t-elle dit au chef en rigolant. Plus de plateaux de fromage non plus lors des dîners d’Etat, Sarkozy n’aime pas ça et de toute façon, toujours pressé, il déteste perdre du temps à table.

Ce n’est pas le cas de Hollande, très gourmand, qui a un peu de mal à se tenir à son régime, « Vous savez comment c’est, explique le chef Vaussion, il dit qu’il ne prend pas de béarnaise avec son entrecôte-frites (un plat dont il raffole, ndrl) puis il rappelle le maître d’hôtel pour lui en réclamer… » Jean-Maurice Sacré raconte un repas d’Etat au Maroc, donné par le roi Mohamed VI où Hollande avait leve son verre pour porter un toast au roi : « Tout le monde l’a regardé un peu gêné, on ne porte pas un toast au roi des croyants. »

Cuisine de l'Elysée ©zt

« Lors des dîners d’Etat, certains fauteuils valent un milliard »

Tous ces petits secrets « gentils » en cachent évidemment des plus gros que les proches du Président ne peuvent révéler : « On ne signe pas de contrat de confidentialité comme dans d’autres pays mais si on veut tenir dans ce métier, il faut savoir se taire… » On imagine en effet que bien avant Closer, les cuisiniers avaient eu connaissance – entre autres des affres sentimentales de François Hollande. Au-delà du côté « people », la table présidentielle est surtout un lieu de réseau et d’influence, finalement pas si loin des dîners royaux, avec son lot de connexions et d’intrigants.

Les dîners d’Etats organisés trois ou quatre fois dans l’année en l’honneur d’un chef d’Etat rassemblent chefs d’Etat donc, politiques mais aussi artistes et grands chefs d’entreprises : « Certains fauteuils valent un milliard », explique Jean-Maurice Sacré. Autour des grandes tables en U : les chefs d’Etat des deux pays et leurs femmes au milieu, avec près d’eux les invités les plus importants et en bout de table ceux qui « comptent » le moins. Certains dîners sont moins courus que d’autres, 120 couverts seulement lors de la venue de Kadhafi (contre 250 habituellement) : certains préfèrent laver leur linge sale en privé.

Bernard Vaussion a rendu son tablier en 2015 : « Vous voyez qu’en France on part à la retraite à 60 ans », lui a dit en plaisantant François Hollande, « Oui mais je travaille quand même depuis mes 13 ans et demi », a rétorqué le chef. Espérons que notre futur président soit aussi compréhensif avec les régimes spéciaux.

Salle des Fêtes de l'Elysée ©zt

Bibliographie pour en savoir plus : 

'Invitation à l'Elysée, 150 ans de tables présidentielles', Jean Maurice Sacré, éditions Ouest-France
'Au service du Palais', Bernard Vaussion et Christian Roudaut, éditions Du Moment.
'A la table des diplomates', sous la direction de Laurent Stefanini, L'Iconoclaste.
'Chefs des chefs', Gilles Bragard et Christian Roudaut, éditions Du Moment.
'Les Cuisines de l'Elysée', Francis Loiget, éditions Pygmalion.

 

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