Tout a été dit sur cette œuvre, certainement la plus célèbre de Gustave Courbet, dont le titre, à lui seul, ressemble à une provocation : sans Genèse ni Big Bang, l'origine du monde serait donc simplement un sexe de femme, sensiblement entrouvert, et offert au regard. Lieu dérobé d'où le désir émerge, et où il aboutit. Sans visage, sans bras ni jambes, le tronc de cette femme anonyme, vulve en gros plan, apparaît ainsi à la fois comme un savoureux blasphème de l'athée et communard Courbet, et comme un acte fondateur de la pornographie en art. Car si le sexe féminin, depuis les déesses préhistoriques de la fertilité, n'est franchement pas nouveau dans l'histoire de la représentation, c'est sans doute avec Courbet qu'il est apparu pour la première fois aussi brut, réaliste, direct (et velu), loin des chastes épilations d'Ingres ou de la pudique main posée sur le pubis de l'Olympia de Manet – qui fit pourtant scandale trois ans plus tôt.
Seulement, avant de devenir le mont de Vénus le plus célèbre de l'histoire de la peinture, puis de se retrouver au musée d'Orsay en 1995, L'Origine du monde connut un destin souterrain des plus mouvementés. D'abord vendu par Courbet avec une autre toile érotique – le très beau grand format Le Sommeil, aussi intitulé Les Deux Amies – au diplomate turc Khalil-Bey, L'Origine du monde fut ensuite récupéré par un collectionneur hongrois, avant de finir, caché derrière un panneau peint par André Masson, dans l'appartement du psychanalyste Jacques Lacan et de sa femme Sylvia (ancienne compagne de l'écrivain Georges Bataille et inoubliable actrice d'Une partie de campagne de Renoir – mais c'est une autre histoire).
Ceci dit, malgré son aura de chef-d'œuvre maudit et la surabondance d'images pornographiques dans l'iconographie contemporaine, L'Origine du monde continue de déranger, immanquablement, de troubler, aujourd'hui encore, l'œil qui s'y engage. Il suffit pour s'en rendre compte d'observer les regards, entre gêne et fascination, des visiteurs du musée d'Orsay. Frontale, stoïque, aussi magistrale qu'obscène, la toile de Courbet, grandeur nature, reste effectivement bouleversante de crudité pour qui s'y attarde, et d'une beauté mystérieuse et paradoxale ; comme un ex-voto aux puissances mêlées de la sensualité (les tétons qui pointent, le corps à l'abandon) et de l'enfantement (la rondeur naissante du ventre, le titre de l'œuvre). Ainsi l'origine du monde apparaît-elle à la fois comme la maman et la putain, la fertilité et le vide, l'innocence et la dépravation. Bref, la femme, dans toutes ses dimensions imaginaires, de la plus triviale à la plus mystique. Au fond, L'Origine du monde ne serait-elle pas l'une des toiles les plus féministes du XIXe siècle ? A voir.
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