Avec Superior State, le quintet parisien Rendez-Vous livre un premier album à l'allure de chef-d'œuvre post punk apocalyptique 2.0. Questionnements stylistiques, autoproduction et marche sur le monde, on a eu rendez-vous avec le groupe. Compte-rendu.
Etre en retard à l’interview était presque inévitable. On les a tellement attendu qu'on en a perdu la notion du temps. Car après deux EP’s marquant comme un tacle de José-Karl Pierre Fanfan, c’est peu dire qu’on l’a espéré ce premier album de Rendez-Vous. Quand beaucoup se seraient méchamment vautrés, les Parisiens ont relevé le défi en prenant de la hauteur. De là-haut, le groupe réussit à adjoindre à leurs trop éculées sonorités eighties des gimmicks électroniques, un peu d’esthétique métal, une vraie batterie, le tout sur une base de post rock jamais revivaliste.
Superior State pourrait être la bande-son d’un voyage en ambulance d'un type en pleine crise de delirium tremens. Il est habité d’une tension, il emporte tout. Ce disque impose un salvateur rapport de force. Double Zero, Paralyzed, Superior State ou encore Exuviæ sont autant de tubes qui vous bastonnent au plus profond de votre système nerveux. Envie de reprendre votre souffle ? Avec Lakes et Order of Baël, sorte de cantiques échappés d’une abbaye cistercienne du 13e siècle, la lumière fut plus que jamais ! Là où ce disque frappe fort, c’est que tout en en foutant partout, il n’apparaît jamais indigeste, comme si le – long – temps de composition avait appris la mesure au groupe. Et comme tous les bouchers (cf. clip de Double Zero), les gars de Rendez-Vous ont un grand cœur et Superior State apparaît comme une cover de la mythique question : « il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? »
Tout juste rentrés de Kiev, et alors qu'ils s'apprêtent à casser La Machine du Moulin Rouge aux côtés de Silent Servant, Clara 3000 ou encore Prurient, voici leurs petites confidences façon Drucker. La bière et les poches sous les yeux en plus.
Time Out Paris : Maintenant que vous avez quasi blindé la Machine, vous pouvez nous le dire : ces 5 ans d’attente pour votre premier album, c’était un juste un plan de com’ extrêmement bien ficelé ?
Eliott : Tu veux vraiment une réponse par rapport aux 5 ans ? On n’est peut-être pas les mecs les plus rapides, mais c’est juste qu’on a besoin de temps pour composer, pour faire des choses qui nous plaisent vraiment. Il y avait peut-être aussi un peu de pression sur le premier album après les deux EP. Pis on aime bien être un peu en marge... Qui a dit qu’il fallait sortir des trucs tout le temps ?
Le choix de l'identité de votre label a aussi semblé prendre une éternité. Finalement, ça sort sous un triptyque de labels dont Artefact, votre propre structure.
Eliott : En vrai, c’est une co-prod entre notre label et Crybaby. Toutes les perspectives de label qu’on avait ne collaient pas en terme d’agenda ou autres. Et puis on a rencontré Stéphanie et Anaïs de Crybaby que je connaissais depuis quelques temps. Elles ont émis l’idée de nous accompagner sur un label qu’on monterait nous-même. C’était un vieux fantasme. Et on a compris que c’était financièrement, artistiquement et humainement plutôt intéressant.
Maxime : On avait l’impression que c’était un peu plus moderne de fonctionner comme ça plutôt que d’aller sur un gros label où tu donnes tes master et où tu n’as plus trop ton mot à dire sur ta manière de communiquer sur le disque, le calendrier...
Eliott : On avait le rap en exemple. Où les mecs n’en ont plus rien à foutre d’appartenir à un roaster. Il n’y a plus ce côté signature gros cigare labélisé. Et c'est tant mieux.
Depuis le début, vous avez une presse dithyrambique comme peu de groupes ont pu avoir. En quoi cela a influencé votre manière de composer ?
Eliott : Le seul truc qui nous a un peu influencé, c’est qu’on nous a vraiment ancré dans quelque chose de très eighties et ça nous faisait un peu chier. Ça nous a sans doute poussé à enlever des synthés. On n’a pas du tout l’impression d’être là dedans, dans le sens de faire de la musique comme à l’époque. Ça n’a jamais été notre volonté.
Parlons concrètement du disque. Vos compositions sont bien plus denses, riches. Comment se déroule votre processus de compo ?
Eliott : Il y a beaucoup d’influences. On a davantage travaillé dans la recherche de sons, de différents types de matières que dans la superposition des pistes.
Maxime : Pour donner un embryon de morceaux, on n’a jamais trop su le faire à quatre. Ce sont plus des idées de basses ou de guitares. Et si là-dessus Francis cale une voix intéressante, qu’il se dégage des harmonies intéressantes assez rapidement, là on peut commencer à faire des arrangements et à structurer tout ça.
Au niveau de la voix, il y a quelque chose d’assez agressif.
Maxime : C’est Francis qui écrit. Une fois que la musique est commencée, il voit là où ça l’amène au niveau des paroles et des lignes de voix, des mélodies. Qu’elle soit agressive, oui, c’est vrai qu’on aime bien quand il se dégage une certaine énergie. Quant au sens, c'est compliqué de parler à sa place mais ses paroles sont souvent métaphoriques. Il est très influencé par les Pixies et leurs textes très métaphoriques. C’est très poétique et il ne faut pas le prendre au sens littéral.
C’est peut-être au niveau de la voix que je trouve le plus de références aux années 1980.
Eliott : Je vois ce que tu veux dire mais quand tu le compares à des tas de groupes qui chantent en français façon 80's, on ne leur fait pas la remarque. Tout ça justement parce qu'ils chantent en Français ! De notre côte, il y a un truc post punk, c’est sur. C’est un peu gueulé mais on a fait, par le passé, des choses beaucoup plus typées 80.
Vous évoquez beaucoup vos penchants de plus en plus forts pour la musique électronique.
Eliott : Ça fait longtemps que ce penchant électronique existe.
Maxime : On n’écoute pas que des trucs électroniques. Un morceau comme Lakes va davantage chercher du côté de groupes comme Cult of Youth ou à la rigueur de Death in June.
Il y a aussi quelque chose d'important sur cet album : l'arrivée de Guillaume Rottier à la batterie. Quel a été l’élément déclencheur de cet ajout ?
Maxime : Il est arrivé pour la tournée. Ça s’est décidé au fur et à mesure de l’enregistrement quand on a vu la tournure que prenait l’album. Que notre formule ne marcherait plus et que...
Eliott : ... ça ne prenait pas la dimension que ça aurait pu prendre avec un batteur.
Coté casting, vous avez aussi choisi d'aller mixer votre album avec l’Anglais Matt Peel, dans une église à Leeds.
Eliott : Quand on a commencé à faire de la musique, on a eu tendance à tout planquer dans la reverb, mais plus tu fais du son et plus tu essaies de limiter ça. Avec Max, on a fait des premix où on était quaisment arrivé à ce qu’on voulait en terme d’effet. On voulait qu’il rajoute quelque chose d’un peu plus fat et il nous a foutu de la reverb partout...
Maxime : On ne regrette pas de l’avoir fait avec lui mais on comprenait qu’on allait pas instinctivement dans la même direction. Techniquement, il a su amener les morceaux là où on voulait qu’ils soient : avec une couleur assez agressive tout en gardant de l’air.
Etrangement, est-ce que ça ne serait pas un Anglais qui vous aurait arraché cette étiquette de « groupe Post punk 80’s très anglais » qu'on vous accole depuis le départ ?
Eliott : Disons qu'il voulait peut-être faire un truc plus post punk. Enfin, pas vraiment post punk mais plus anglais, très réverbéré, plus rock, peut-être beaucoup plus marqué dans un temps passé alors qu’on était davantage dans une démarche électronique.
D’un point de vue des références du groupes. Y'a un côté ésotérique assez présent dans votre album. Un peu à la manière de groupes de métal.
Eliott : J’écoute beaucoup de black métal. Ce sont des clins d’œil. Je trouvais ça marrant de mettre des gros noms bien darkos, black metal, ésotérique sur un morceau doux comme Order of Baël.
Maxime : Et c'est un peu une sorte de blague. Baël, c’est le gardien des enfers. On avait ce morceau, très différent du reste de l’album, très lumineux. On s’est dit qu’il lui fallait un nom comme si c’était le plus dark possible.
Et ce fameux Superior State ?
Eliott : Alors ça, on aime bien laisser les gens se faire leur propre interprétation sans forcément les guider. Comme on a dit plusieurs fois, la pochette est assez explicite, équivoque.
Maxime : Après tu peux aller vers autre chose aussi. Elle aiguille, certes, mais pourquoi pas la voir dans un sens plus personnel.
Je pensais à un petit délire égotrip...
Maxime : Ça peut partir là-dedans aussi, c’est ça qu’on aimait bien justement, que ça couvre plusieurs interprétations qui nous plaisent toutes.
Eliott : Et c'est toujours plus cool quand c’est un peu mystérieux.
Entre vos clips, vos pochettes, vos looks, vous avez cette esthétique assez forte. Il y a peut-être une distance qui est mise consciemment.
Eliott : Dans la dégaine, je ne sais pas mais dans l’interprétation, l’attitude, il y a quelque chose. On cherche quelque chose de physique avec le public. J’aime bien quand il y a quelque chose de vivant, j'aime incarner les morceaux.
Y’a toute une légende autour du groupe et d’un mode de vie assez destructeur que vous mèneriez. J’ai même cru comprendre que Francis était à la diète depuis quelques semaines. Ça y est, vous arrêtez les conneries ?
Maxime : Après, quand tu tournes beaucoup, il y a des dispositions, des résolutions à prendre si tu ne veux pas finir...
Eliott : Si tu veux finir la tournée tout simplement !
En parlant de tournée, vous revenez tout juste d’un "Balkan tour" et vous irez en décembre en Russie. C’est quoi la suite pour 2019 ?
Eliott : On va aller en Angleterre, en France, beaucoup de festivals, Hollande, Allemagne. L’Asie peut-être avant l’été. Les Etats-Unis, c’est pour septembre de l’année prochaine !
Superior State est sorti le 26 octobre dernier sur Artefact et Crybaby. Release party de l'album le vendredi 9 novembre à la Machine du Moulin Rouge.
Quoi ? Release party de Rendez-Vous
Quand ? Vendredi 9 novembre 2018, de 21h à 6h
Où ? La Machine du Moulin Rouge
Combien ? 23,90 € (Billetterie ici)