Jay-Jay Johanson

Jay-Jay Johanson

Rencontre avec le crooner chic, autour de la sortie de son nouvel album

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Avant son concert au Trianon pour y présenter son nouvel album 'Cockroach', le chanteur suédois est revenu avec Time Out sur les principales étapes de sa carrière. Il évoque son travail d'écriture, son amour du jazz et de Paris, son abandon de la nuque longue et une surprenante rencontre avec Ingmar Bergman.

Si, la trentaine bien sonnée ou pas, vous gardez le souvenir d'une adolescence davantage versée dans une dépression larvée que dans le postmodernisme de Daft Punk (quoique l'un n'empêche pas l'autre), vos oreilles ont certainement dû croiser le chemin de Jay-Jay Johanson, crooner longiligne au chant androgyne, Scandinave clairement plus proche d'Ibsen que d'Abba sur lequel pas mal d'amateurs de trip-hop connurent d'étranges émois paradoxaux au début des années 2000. Révélé en 1997 avec l'album 'Whiskey' et son langoureux single "So Tell the Girls that I Am Back in Town" (titre à la mélancolie douce, qui n'aurait sans doute pas été le même interprété par Francky Vincent), Johanson connut son apogée critique et commerciale en 2000 avec son troisième LP, 'Poison'. Artwork hitchcockien, âpreté des arrangements, chant hanté et textes d'une cruelle densité bipolaire : 'Poison' reste à Jay-Jay ce que 'Dummy' fut à Portishead. Sa référence.

« A l'époque, j'habitais Paris. Et c'est véritablement ici que ma carrière décolla. Pour moi, ces années furent d'ailleurs formidables, d'un point de vue artistique et culturel. J'avais étudié les beaux-arts et l'architecture à Stockholm, et Paris en était comme le prolongement idéal, la suite rêvée. Pourtant, au début des années 2000, j'ai décidé de retourner vivre en Suède, dans une toute petite ville de la banlieue de Stockholm. A Paris, je n'arrivais plus à écrire, tant il y avait de sollicitations, de propositions de sorties, de galeries d'art, de soirées improvisées... J'ai besoin de calme, de solitude... presque d'ennui pour pouvoir écrire. » Effectivement, la musique de Jay-Jay Johanson, intimiste et décharnée, n'est pas vraiment l'idéal pour s'alcooliser en groupe – à moins de vouloir délibérément plomber l'ambiance.

Car Johanson est un type qu'on écoute seul. Ou à deux – ce qui, au fond, revient à peu près au même. Solitude créatrice, profondeur sensuelle, passion pour les situations psychiques en équilibre instable : outre Chet Baker, le Suédois nous fait évidemment penser à son compatriote Ingmar Bergman, le cinéaste-culte ayant longtemps vécu isolé sur l'île de Fårö – où il tourna, entre autres, le sublime 'Persona' et son cauchemardesque 'L'Heure du loup'. Jay-Jay savoure la référence. « C'est peut-être une question de tempérament, une histoire d'âme nordique. Même si c'est aussi un cliché. Mais enfin, je me suis rendu deux ou trois fois à Fårö, et j'ai eu la chance, totalement imprévue, d'y rencontrer Ingmar ! Bien sûr, je savais qu'il vivait là-bas, mais je n'osais espérer le croiser... Pourtant, un jour où je me baladais en vélo, j'ai aperçu une grande tente, plantée au milieu d'un champ. Intrigué, je m'en suis approché et j'ai vu qu'une projection s'y déroulait. Je m'y suis glissé aussi discrètement que j'ai pu. Et là, ce fut un choc : Bergman avait réalisé, à vingt-cinq ans d'intervalle, des interviews avec une vingtaine d'habitants de l'île, et leur projetait le documentaire qu'il avait tiré de ces entretiens. C'était évidemment très émouvant... Et moi, j'étais là, planté au fond, hallucinant d'avoir Bergman en face de moi, et d'assister à une projection privée d'un de ses films ! »

Bien étrange revirement, se dit-on alors, que fut celui des albums 'Antenna' (2002) et 'Rush' (2005), qui virent Johanson s'éloigner du trip-hop à connotations jazz déprimé (et presque... bergmanien, oserons-nous donc dire) où il excellait, pour des bizarreries dancefloor typées 80's et une coupe mulet aux reflets oranges qui fit sans doute un certain mal à sa carrière. Autrement dit, la question nous démange : pourquoi s'être ainsi tiré une balle dans le pied ? Voire, pourquoi pas ? Mais enfin, pourquoi diable ? « Je ne vois pas vraiment la situation comme ça, même si je conçois que ce changement de registre ait pu être perçu de la sorte. En fait, j'avais plutôt l'impression d'être arrivé au terme d'une formule, qui était d'ailleurs celle de l'époque, après la grande heure du trip-hop, de Mo'Wax, Portishead ou Massive Attack. Mes mélodies ont toujours été imprégnées de jazz, mais je les accompagnais de samples minimalistes, au ralenti, que j'élaborais avec mon ami pianiste Erik Janson : un musicien de culture classique, qui connaît son Chopin sur le bout des doigts, mais qui, en fait, s'est toujours senti plus proche des Beastie Boys. Après 'Poison', j'avais envie de changement, de remise en cause de mes arrangements. J'ai donc laissé mes chansons aux mains d'autres producteurs. C'était pour moi une façon de m'en déposséder, de perdre mes automatismes, pour redécouvrir ma musique modifiée, traitée par d'autres. Mais ça n'a pas duré si longtemps que cela. » D'ailleurs, a posteriori, une chanson comme "On the Radio" y gagne une saveur à la fois kitsch et désincarnée. Pas inintéressante.

Dès lors, après cette purge électronique, les disques de Jay-Jay Johanson suivirent la voie inverse : celle d'un minimalisme quasi-fantomatique, d'une réduction au murmure, culminant en 2011 avec l'album 'Spellbound', où le chanteur, désormais quadragénaire, semblait disparaître dans un souffle à la beauté fragile et incertaine. C'est donc avec un plaisir heureux qu'on l'a vu réapparaître cet automne 2013, avec le bien nommé 'Cockroach' (« cafard », en anglais) : retour à des arrangements plus riches, sans mièvrerie ni excès mais agrémentés de sons profonds, plus travaillés, où le chant diaphane de Johanson se pose comme une évidence et rappelle les plus grands moments de ses premiers albums, entre les congas de "Coincidence", les cordes de "I Miss You Most of All", les empilements vocaux vintage de "Dry Bones" ou les orgues gorgées de reverb de "Mr Fredrikson". Voilà qui ressemble donc à un joli bouclage de boucle, un retour apaisé aux sources. Toutefois, Johanson précise : « En fait, j'écris dès que j'en ai le temps ou l'occasion. Je ne fonctionne pas du tout comme certains artistes qui composent leur album d'une traite et partent l'enregistrer aux Bahamas... Enfin, vous voyez le genre, quoi... Mon écriture n'a jamais vraiment changé : elle se fonde sur des idées mélodiques, des fragments de vers, des mots qui me viennent en tête. Ensuite, c'est le processus d'arrangement que j'essaie de rendre excitant. Pour 'Cockroach', j'avais envie de m'entourer d'amis. S'il vous fait penser à mes premiers disques, il est pourtant dépourvu de samples, tous les instruments ont été joués live, dans une atmosphère joyeuse, fraternelle... même si, je le concède, les paroles restent mélancoliques. » Comme quoi, on ne se refait pas... Et, comme il le chante dans "Mr Fredrikson", premier extrait de son album : « I know I've got some problems... But so do you. » Ah, ex-fan des nineties...

>>> Jay-Jay Johanson, album 'Cockroach' (Universal Music Jazz)
En concert au Trianon, le 11 décembre 2013

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