D’une berge à l’autre, les deux immenses cinémas MK2 se regardent en chiens de faïence, rivalisant de projections éclectiques. C’est entre ces deux anciens entrepôts ouvriers des docks que les eaux visqueuses du canal de l’Ourcq achèvent leur course, s’immisçant sous la rotonde du bassin de la Villette pour aller se déverser dans le canal Saint-Martin.
Il leur faut parcourir près de 100 km pour en arriver là : depuis son ouverture en 1822, le canal prend sa source à la rivière de l’Ourcq en Picardie puis traverse la Seine-Saint-Denis avant d’entrer triomphalement dans Paris par la porte de la Villette. Construit sous Napoléon, il servait autrefois à acheminer eau potable, vivres et marchandises au cœur de la capitale, notamment des caisses remplies d’explosifs issus de la poudrerie de la forêt de Sevran.
Aujourd’hui, ce cours d’eau tiraillé entre Paris et le 93, entre les cités du 19e et les lofts arty du 10e arrondissement, partage son activité entre transport commercial et croisières touristiques (Canauxrama, notamment). Intra-muros, ses quais spacieux attirent les joueurs de pétanque du quartier, cloués aux terrains sablonneux pendant des heures pour enfin dégommer ce maudit cochonnet.
L’été, c’est sans doute ici que se débobinent les plus belles séquences de Paris Plages. Pas de sable dans les basques, pas d’autocars de touristes : on est loin de l’entassement des quais de Seine. Baby-foot et jeux d’eau se bousculent sur la berge ouest du canal, près des guinguettes et des bals dansants où de vieux Parisiens viennent se réconcilier avec leur ville, retrouvant entre deux airs de tango un doux parfum de bohème. Sous les guirlandes de loupiotes, il règne dans ces moments-là comme une ambiance de village sur les berges de l’Ourcq, chose trop rare à Paris.