Que peut donc bien dissimuler cette devanture mystérieuse, à deux pas et demi du tumulte de la place Monge ? A travers ses immenses baies vitrées, on devine une atmosphère qui n’a rien d’ordinaire : un décor de briques rouges, les meubles cirés d’un autre siècle, un merveilleux comptoir, et de très hautes tables étrangement dressées. Surprise intimidante mais quelque peu grisante, n’entre pas qui veut avant d’avoir montré patte blanche, c’est-à-dire, d’avoir pressé la sonnette de cet établissement particulier.
Une fois le seuil franchi, nous voilà à Shanghai, au début des années 1930 – aussitôt bercés par une douce musique et enivrés par le délicieux mélange de fragrances qui habitent les murs. Au beau milieu des petites théières en terre cuite et des tasses en porcelaine à peine plus grandes que celles de notre dînette d’antan, professionnels, amateurs et néophytes viennent s’approvisionner en thé. Avec 1 000 sortes différentes dont 500 millésimes, qui vieillissent en cave et se bonifient avec le temps, la Maison des Trois Thés est la plus grande cave à thés du monde. Lorsque Maître Tseng – l’un des plus grands experts de ces breuvages – n’est pas en expédition à la recherche des meilleurs théiers d’Orient, elle se fait un plaisir de transmettre un peu de son savoir.
Ici, la dégustation (à partir de 20 euros) constitue une véritable cérémonie, car la Maison est adepte de la méthode du Gong Fu Cha, tout à fait comparable aux méthodes œnologiques. Aussi chaque thé a-t-il sa propre théière, qui retient la chaleur et se charge de saveurs. En vrac, les thés sont vendus dans de jolies boîtes calligraphiées de toutes tailles, lesquelles auraient presque leur place dans un musée. Alors, certes, la qualité a un prix, mais le dépaysement en vaut la théière.