Elle est l’idole de nos fringales et l’aliment le plus consommé au monde : j’ai nommé sa majesté la Frite ! Le bâtonnet de pomme de terre doré, à l’histoire voyageuse, est une denrée-étendard qui fait l’objet d’une querelle de pa(ta)ternité - un rien surjouée - entre voisins Belges et Français. Des papas incas à la boutonnière de Marie-Antoinette jusqu’au décollage d’un cornet dans l’espace, on vous embarque dans notre friteuse à voyager dans le temps. Attention, il fait 175 degrés à bord.
Patati sur la patata
Au début était la papa (le nom de la pomme de terre en quechua, la langue des Incas) dont l’une des premières mentions dans les textes européens est le fait d’un chroniqueur espagnol aux Amériques en 1536. Premier papaddicte étranger, il s’émerveille de la variété de cet aliment de base des peuples andins qu’il décrit comme « des racines au goût délicieux qui sont des friandises pour les Espagnols »… Car le tubercule de la famille des solanacées, ultra-résistant à l’altitude, a son berceau sur les hauteurs de l’actuel Pérou (aka le Patatistan), pays qui en compte encore plus de 4000 variétés ! Mangées plutôt cuites que frites traditionnellement, l’arrivée des conquistadors fait se rencontrer la cuisson à l’huile chaude, cette autre religion espagnole, et la perle nourricière des Andes : la pomme de terre frite est une manifestation du syncrétisme entre le Nouveau et l’Ancien Monde. Résultat ? Une révolution alimentaire globalisée se met alors en marche qui va répandre la batata (popularisée via son vocable taïno, soit du peuple natif de Cuba) dans bon nombre de cuisines ; et au-delà : une pensée émue pour Monsieur Patate.
Il ne restait plus qu’à inventer la frite.
Querelle de pa(ta)ternité
Il y a de la friture sur la ligne entre Paris et Bruxelles concernant l’origine de la divine barrette blonde. Pour les Français, il n’y a pas plus cocorico : même le grand sémiologue Roland Barthes s’en mêle et écrit que « la frite est le signe alimentaire de la francité ». Car si la patate fut introduite dans le royaume de Louis d’abord comme nourriture pour bétail, elle se popularise dans l’alimentation humaine grâce à la publicité que lui fait Antoine Parmentier au XVIIIe. Cet agronome, patatophile forcené qui donna son nom au célèbre hachis des cantines, va même jusqu’à fixer une fleur de pomme de terre à la boutonnière de Marie-Antoinette pour en faire la promotion.
Avec la Révolution, tout s’accélère : les frites deviennent l’aliment populaire par excellence, le plus souvent vendues par des marchand.e.s ambulant.e.s sur le Pont-Neuf, qui donne son nom à la frite typiquement parisienne. Au XIXe, elles se dealent dans des échoppes de rue ; on sait d’ailleurs que Victor Hugo les appréciait et que Baudelaire aimait à prendre des bains de soleil « sur le quai d'Anjou, tout en croquant de délicieuses pommes de terre frites qu'il prenait une à une dans un cornet de papier ». - Hypocrite friteur, - mon semblable, - mon frère !
« C’était pas des frites ça, c’était des rondelle de patates cuites dans l’huile, rien à voir ! » Voilà ce que rétorquent certains fritologues du Plat Pays pour qui la forme de la frite est, avec la houppette de Tintin, l’autre grand legs des Belges à l’Humanité. La légende veut que les habitants pauvres de Namur avaient pour habitude de frire des petits poissons afin d’améliorer l’ordinaire. Pendant les hivers rudes, les eaux figeaient et la pêche était impossible, alors pour tromper la faim, ils taillaient des pommes de terre en forme de petits poissons à frire. Scoop : au départ, la frite serait un trompe-l’œil !
Aucune preuve de tout cela mais ce qui suit est avéré : la frite devient le véritable étendard de la belgitude.
De la frite allumette à la frite amulette
Il est indéniable que les Belges ont de la frite dans les idées (excellent titre de Libé, on avoue) : une journée internationale de la frite belge le 1er août, 5000 friteries à travers le pays, un projet semi-humoristique d’inscription de la frite belge au Patrimoine immatériel de l’UNESCO et même… des frites astronautes ! En 2016, un animateur de radio belge décide d'envoyer un cornet de frites aux confins de la stratosphère sur un ballon-sonde. Vive la Friternité !
Cinquante nuances de frites
On ne rigole pas avec la frite. Elle a son ingénierie de précision et ses subtilités de découpe ; on vous les rappelle pour vous aider à soigner votre frite cred :
- les « bûches » : section carrée de 2 cm
- les « pont-neuf » : section carrée de 1 cm ;
- les « allumettes » : section de 0,5 cm (ce sont celles du McDo)
- les « pailles » : section de 0,25 cm
- les « cheveux d’or » (taillées encore plus finement, au laser)
- les frites « en nid » (pommes paille dressées en nid dans un moule-panier et frites à nouveau).
Il existe même un très sérieux indice de fritabilité qui mesure (avec l’aide de l’intelligence artificielle) l’aptitude d’une patate à devenir frite ! Basée sur la couleur dominante après cuisson, selon un protocole méticuleux, cette échelle va de 000 (frite très claire) à 4 (frite carbonisée) et comprend sept échelons. Les variétés les plus fritables ? Les patates les plus farineuses, comme la célébrissime bintje, l’agria, ou la russet burbank. A dorer dans l’huile végétale ou la graisse de bœuf à la manière belge, en deux bains pour les puristes :
- Un premier bain de 5 à 8 minutes dans une huile à 130° (minimum 140° d’après chef Hardiquest sur Top Chef)
- Les retirer, égoutter pour les dégraisser sur du papier absorbant, et laisser refroidir 10mn.
- Puis les replonger dans un second bain à 180-190° pendant deux minutes jusqu’à ce qu'elles roussissent.
A boulotter avec du ketchup et de la mayo, parce que la vie est trop courte. MAYOLO !