La nouvelle hype des cuisines africaines
© Passy CœurNoir pour Time Out
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La nouvelle hype des cuisines africaines

Une garde de chef(fe)s réinvente les gastronomies subsahariennes, rendant leurs lettres de noblesse à des mets parfois méprisés.

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Avec ses tomettes terracotta, ses tables en bois brut et ses grandes fenêtres, Touki Bouki a tout d’un bistrot parisien branché. Sur les hauteurs de Belleville, l'adresse, ouverte l’année dernière, propose des références de vins nature, une carte où se bousculent des œufs mayo, de la joue de bœuf, de la burrata… Mais aussi « le meilleur ndolè de la ville », lance Etienne Biloa, agent de chefs passé derrière les fourneaux.

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Le pari est osé car ce plat camerounais composé de feuilles de vernone, d’arachides et de crevettes et/ou de viande revêt une certaine amertume. « C’est vrai que le goût est très complexe, mais il a un potentiel énorme pour des clients qui recherchent des séquences gustatives », explique-t-il. « Et nous avons choisi de le démocratiser comme si c’était une saucisse purée ! »

L’inscrire au menu de ce restaurant – qui est aussi une « terre d’accueil pour des chefs en résidence » – n’est donc pas anodin. Ici, l’envie était surtout de « dépasser les clichés » entourant les gastronomies d’Afrique, « jugées trop riches, monotones ou trop pimentées », et de donner « une autre vision que le yassa, le mafé ou le tiep ». « La cuisine a toujours été un médium privilégié d'échange culturel et de partage, et notre génération se place dans la continuité de celles et ceux qui nous ont précédés », observe Etienne Biloa. « Mais contrairement à nos parents ou nos grands-parents, nous sommes plus nombreux à être formés aux métiers de la restauration, ce qui tend à faire évoluer cette histoire culinaire avec notre époque et notre sensibilité. » 

Des réinterprétations par des chefs afrodescendants

Touki Bouki incarne bien le bouillonnement de Paris et sa région, où les cuisines subsahariennes sont en train de conquérir le cœur des habitants grâce à la créativité de chefs afrodescendants. Quand certains spots comme Kuti revisitent la street food à la sauce afro, d’autres modernisent de grands classiques en version gastronomique. 

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© Passy CœurNoir pour Time Out

Mory Sacko, lui, réinterprète le bœuf mafé dans son restaurant étoilé MoSuke. « J’avais envie de réaliser cette recette avec des produits sourcés, ma technique française et mes influences japonaises », justifie l'ancien candidat de Top Chef. Si la base reste traditionnelle avec de la pâte d’arachide, des tomates, du piment et du bœuf d’Aubrac, le sel est remplacé par du miso pour « ajouter de l’umami et une strate de saveur supplémentaire, sans dénaturer l’harmonie du plat ».

Le tout se veut un hommage à un souvenir d’enfance. « À la maison, on en mangeait tellement qu’à la fin, je n’en pouvais plus ! », rit-il. « Ma mère, qui est née de parents maliens en Côte d’Ivoire et qui a vécu au Sénégal, concoctait de nombreux plats d’Afrique de l’Ouest : aussi bien un attiéké ivoirien qu’un thiéboudiène sénégalais ou un mafé malien. Tout ceci s’inscrit désormais dans ma bibliothèque de goûts. »

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© Mory Sacko

Un mouvement progressif

Aux portes de son restaurant, le chef observe la « curiosité croissante des clients, leur envie de découvrir les plats autrement qu’en photo ». S’il est optimiste, il admet que ce mouvement reste très progressif. « Je fais souvent le parallèle avec la gastronomie asiatique. Avant, un restaurant pouvait servir une soupe pho vietnamienne aux côtés de sushis japonais sans que les origines soient questionnées », note-t-il. « Désormais, il existe une segmentation entre les cultures asiatiques parce que les gens ont acquis des connaissances. J’espère que les cuisines africaines suivront le même schéma. »

L’engouement grandit mais le chemin est encore long. Pour le chef Pierre Siewe, « les plats d’Afrique subsaharienne ont du mal à s’imposer ». « Si on demande à une personne d'en citer dix, je ne suis pas sûr qu’elle y parvienne. Il y a encore un gros travail à faire pour que ces mets soient reconnus. » Celui qui a affûté ses couteaux auprès d'Yves Camdeborde prône plutôt une approche portée sur le produit. Sa cuisine fusion – ou « métissée », comme il se plaît à dire – constitue une passerelle entre la gastronomie française et celles d’Afrique subsaharienne.

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© Passy CœurNoir pour Time Out

À la carte de sa Table Penja, ouverte le 5 octobre dernier, on trouve par exemple une blanquette de veau à la poudre de baobab. Soit une manière originale d’épaissir sa béchamel et de remplacer l’acidité du citron. « Ayant passé mon enfance au Cameroun, ces ingrédients me sont forcément familiers. Mais pour des clients peu habitués, il est plus facile d’intégrer ces épices à des mets qu’ils connaissent déjà », affirme-t-il. « Pour eux, ce sera peut-être une étape avant d'explorer des repas plus traditionnels et moins courants. »

Mais bien plus qu’une mode

D’autres adaptent leurs influences aux questionnements du moment, comme Gloria Kabé et son approche afro-végane inspirée par le chef afro-américain Bryant Terry. Le fruit d’une réflexion personnelle entamée lors d’un séjour à Salvador de Bahia, berceau de la culture afro-brésilienne. « J'ai retrouvé des goûts que j'avais connus petite. Des saveurs qui me rappelaient les plats congolais de ma mère », se souvient-elle. « Il y avait beaucoup de similarités dans la manière de préparer le manioc ou le gombo, par exemple. Après ce séjour, j'ai eu envie d'approfondir mes connaissances et de me lancer dans la restauration. »

La cheffe indépendante partage ses recettes lors de dîners privés de VIP – notamment pour Robert Pattinson et FKA Twigs – mais aussi lors de résidences aux quatre coins du monde. Sa prochaine étape ? Ce sera à Marseille le 10 et 11 avril lors du festival des Cuisines Africaines où elle fera un quatre-mains avec la cheffe Sandrine Solier des Beaux Mets. « J’ai des flash-backs de goûts d’enfance que j’aimerais recréer. »

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© Passy CœurNoir pour Time Out

Par son engagement, Gloria Kabé espère, comme d’autres chefs de sa génération, « représenter les cuisines afro sous différentes formes ». « Et puis je crois qu’il y a une réelle reconnaissance et ouverture du public au-delà du continent africain et des différents lieux de diasporas », avance-t-elle. « Ce moment n’est pas qu’une mode mais une réelle affirmation de nos gastronomies. »

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