Alors qu’on s’attendait à plonger dans les profondeurs fuligineuses d’un espace peuplé de créatures fluorescentes, c’est dans l’écrin coruscant d’une salle du Pavillon Ledoyen que l’on s’accoude au comptoir de l’annexe nipponne – deux étoiles (de mer) sur la coque – du paquebot Alléno. A l’intérieur, un décorum oscillant entre salle de réveil haute de plafond et musée d’art contemporain – tables nappées, banquettes rouges, murs à reliefs coralliens et 80 000 baguettes de bambou en lévitation, œuvre de l’artiste japonais Tadashi Kawamata. Un lieu entre deux eaux, au sein duquel règne une solennité d’église ascendant moquette.
Les agapes du menu Omakase, à un tarif donnant le vertige des profondeurs (dîner à partir de 180 €), débutent par une première salve « d’émotions salées », en réalité de précieux zakouskis censés préparer la langue à l’iode. Après quelques tsukemonos (légumes en pickles) de navets daïkon et boule d’or, une huître gominée au gel de thé fumé annonce le premier bain de mer. La suite ? Elle est pavée d’exquises intentions : suggestif oursin en gelée de yuzu et ponzu ; tartare de noix de coquilles Saint-Jacques et caviar lié au marc de saké. On réprime un sanglot en voyant couler Les Larmes du Levant (compris dans l’accord), un saké rhodanien à la robe montrachet.
Les secondes s’égrènent au rythme des sashimis et nigiris de poissons blancs, tendus d’une patte de velours par Yasunari Okazaki, chef japonais à l’élégance siamoise : chaque lamelle iodée fond sur la langue, le riz est d’une texture et tiédeur sensuelles à vous cramoisir, chaque liquide s’accorde comme s’il avait été créé pour envelopper chaque bouchée… Peu à peu, les marqueurs français s’estompent pour laisser place au Japon, comme ce mémorable sashimi de langoustine au feu mariné au saké et gingembre… Enfin, en pièce maîtresse de l’odyssée, un temaki (sushi en cône) d’otoro chevauchant un opulent junmai – le saké le plus pur connu au bataillon. Avant une délicate feuille de shiso en tempura, cryogénisée à vue… À laisser frissonner quelques secondes sur la voûte de votre petit palais, avant de sortir marcher 300 mètres en direction du Grand.