“Ceci n’est pas un restaurant !”, nous lance Chloé Charles, parodiant Magritte, quand on arrive dans sa nouvelle enseigne. C’est que la cheffe la plus sympathique de l’histoire de Top Chef a décidé d’atterrir rue Sedaine, dans ce local écoresponsable qui nous décapsule les chakras avec son bois blond, ses lampes en papier et son liège blanc bigarré d’une superbe fresque alimentaire signée Patrick Pleutin. Mais alors c’est quoi, ce Lago ? Pas vraiment un bouclard avec horaires de service et carte affichée à l’entrée, mais pas non plus un salon sélect pour happy few : Lago est plutôt une nouvelle forme de lieu de restauration, une cuisine/salle à manger privatisable, sur réservation et en groupe de 24 personnes max, pour des réunions intimes où Chloé (ex-Septime) vous fait à manger ce que vous voulez, entre midi et minuit, selon vos préférences et la saisonnalité.
L’autre jour, on a eu la chance d’être présents pour le tout premier service de Lago, dans une tablée de 12 personnes venue célébrer la sortie du livre d’un confrère (Nicolas Chatenier). On commence accoudé(e)s autour du comptoir en L, face aux fourneaux, où Chloé envoie l’apéro (tempura d’haricots verts sauce tahini-harissa ; padrones sauce pêche et piment fumé, focaccia de ratatouille). Tout en taillant une bavette avec ses clients – car c’est aussi elle que l’on vient voir de près, ici. Ensuite, on passe à la table d’hôtes où la cuisine de produits de la cheffe tire des goûts francs comme Juninho à la grande époque : entrée pleine lucarne de crevettes de Charente, feuilles de câpre, tomates cerises confites, mayo d’huile d’olive et livèche ; puis on roucoule d’aise avec un pigeon farci de sauce prune et foie aux aubergines et quetsches. Avant, en dessert gagnant, des pêches pochées à la crème au mélilot et biscuit à l’amande. Les vins de haut vol étaient sourcés par Béatriz “Morcilla” Errando, dont un fino andalous à gémir un air de flamenco… Aïîïïïe !
Une sédentarisation relative, donc, pour Chloé Charles qui s’est fait connaître comme cheffe volante et qui tient plus à son indépendance que l’Ecosse après la mort d’Elizabeth II. Car en se délestant du poids d’un resto traditionnel, la cheffe veut continuer à se laisser du temps pour mener des projets parallèles – une vie de famille par exemple. Une manière d’éviter le burn-out du cuisinier proprio, dans le jus des coupures en semaine et sous l’eau de sa compta le week-end. Avec des résas par groupes, les clients comme la patronne gagnent en flexibilité, en adaptabilité et en intimité ; en fait, Lago est un Lego, à moduler soi-même. Un modèle alternatif à développer dans un milieu de la restauration en souffrance ?