Une plage de Lisbonne, le rooftop d’un hôtel à Mexico, un réservoir d’eau abandonné à Bâle, un entrepôt de trains désaffecté à Milan ou les anciens ateliers du photographe Nadar sous les toits de Paris : Luca Pronzato a l’art de dresser la table dans des endroits spectaculaires. Depuis 2019, ce sommelier tout juste trentenaire passé par le prestigieux Noma (restaurant triplement étoilé de Copenhague, élu meilleur resto du monde par le 50 Best) réinvente le restaurant, conçu non plus comme une structure sédentaire figée à une adresse mais comme un dispositif léger, mobile et collectif. “Je suis vraiment fan des restaurants traditionnels mais j’ai pensé à un modèle plus horizontal, une communauté de jeunes talents qui pourraient s’exprimer autour du monde. Avec autant de gens doués, un seul restaurant aurait été limitant pour moi !”, raconte Luca.
Du Noma au nomadisme
C’est pendant ses années danoises, au contact de plus de 40 nationalités différentes en cuisine, que l’idée de créer un réseau lui vient. Embarquant d’anciens collègues dans l’aventure, il convainc un restaurant de plage de la banlieue de Lisbonne d’accueillir sa joyeuse troupe pendant trois mois : ce coup d’essai est une réussite. Depuis, le modèle We Are Ona (“la vague” en catalan) essaime dans diverses villes, en s’inscrivant dans le sillage des foires d’art, de design et d’architecture à Bâle, Arles ou Venise, mais aussi des Fashion Weeks de Paris ou de New York. C’est que, en fin limier de l’époque, Luca Pronzato a eu le flair de jeter des ponts entre les milieux de l’art, de la mode et de la cuisine. “Ces univers sont liés car ils sont tous des métiers créatifs. Chez Ona, en plus des cuisiniers, les céramistes, les menuisiers, les designers ont une place centrale dans l’expérience du repas. S’inscrire dans le prolongement de ces grands happenings culturels internationaux, ça tombe sous le sens !”
Le secret de ces pop-up, c’est donc une approche totale qui mêle curation d’espaces, cuisiniers et sommeliers de talent, arts de la table et décoration florale afin de créer une ambiance à l’esthétique léchée et chaleureuse. Ce fut le cas de l’un des derniers évènements de We Are Ona à Paris : une longue table commune à la déco minimaliste et champêtre dressée au dernier étage d’un vaste bâtiment du boulevard des Capucines (entre l’opéra et la place Vendôme) qui fut jadis l’atelier de Nadar, célèbre photographe du XIXe siècle. Un lieu mythique où se tint la toute première exposition de peinture impressionniste en 1874 !
Tables exportables: de Paris à New York
Aux fourneaux ce soir-là, l’un des cuisiniers les plus doués de sa génération, Thomas Graham, chef du restaurant le Mermoz (Paris 8e), a déroulé un menu inspiré : délicat bouillon de bienvenue au miso, noisette et feuille de figuier ; bijou de céleri rôti perlé d’œufs de truite servi dans la nacre d’une assiette artisanale en coquille d’huître ; thon rouge en tataki, mousseline fumée, jus de cœur de thon en plat de haute bistronomie marine ; et en dessert tirant vers l’enfance, des glaces à la framboise dans des mini-cornets au pavot. Des assiettes de haut vol enluminées par de l’argenterie Christofle. “On veille à trouver des lieux caractéristiques d’une ville mais qui sont à la fois méconnus des locaux”, détaille Luca.
Sa toute dernière destination, c’est New York, avec l’installation d’un restaurant pendant cinq jours au 28e étage d’un immeuble avec vue (décoiffante !) sur la ville. “A NYC, on était dans une tour du Financial District et le thème du pop-up était l’inox, comme celui qui habille les cuisines. C’est le designer de talent Harry Nuriev qui a créé la mise en scène, jonchée de confettis argentés, et le chef Mory Sakho (vu dans Top Chef, ndlr) qui a préparé les repas pour une expérience en huit temps”, poursuit-il. Une ambiance nocturne et urbaine qui a fait forte impression sur Instagram.
Digital foodies
Et comme ce très actif entrepreneur a plus d’un tour dans son sac, il a lancé début 2023 The Chefs' Guide en partenariat avec Evian, une application de bonnes adresses de restaurants sélectionnées et présentées par les meilleur(e)s chef(fe)s du monde entier. Un passage du réel au digital qui ne fait pas l’impasse sur les valeurs qui font le succès des pop-up We Are Ona : le cosmopolitisme, l’échange des cultures et le réseau de talents. “Le restaurant traditionnel reste fondamental pour la formation et le travail au long cours des chefs ; mais ces pop-up sont aussi des moments de grande créativité : les deux sont complémentaires !”, déclare Luca. C’est la cuisine qui en sort gagnante.