Qui est Monsieur Bleu ? Lui, se revendique « bourgeois », « gastronome dandy », « arty ». Nous, nous l’avons plutôt trouvé poseur (pour l’ambiance lounge-branchouille), spectaculaire (pour l’emplacement et le design) et gourmand (pour la cuisine, étonnamment savoureuse). Comme un type très beau en costard qui, avec sa tchatche de commercial arrogant, nous aurait invités à boire un verre, nous laissant à la fois charmés, mal-à-l’aise et un brin sceptiques.
Car c’est certain : résident de l’avenue de New York, face Tour Eiffel, le restaurant du Palais de Tokyo a les arguments qu’il faut pour séduire. A l’extérieur, terrasse imprenable sur les quais de Seine. A l’intérieur, salle grandiose Art déco, armée de dix mètres de hauteur sous plafond et d’un design moderne et feutré signé Joseph Dirand. Au menu : marbre, velours acidulé, lignes épurées, mobilier façon sixties revisités, haut-reliefs de Lalique au mur. Quand on considère que, dans l’assiette, qualité et générosité sont au rendez-vous et que, sur l’addition, les prix sont bien plus honnêtes que ce que le cadre laissait présager (compter une vingtaine d’euros pour les plats, une douzaine d’euros pour les desserts, 15 euros pour les cocktails, et entre 7 et 13 euros le verre de vin), a priori, il y a de quoi succomber sur le champ. Ce soir-là, ce fut un carpaccio de bar aux perles de hareng fumé (Avruga), délicieux, suivi d’un Saint-Pierre à la peau croustillante et au cœur fondant, garniture forestière, et d’un tartare de bœuf finement assaisonné. Et pour clore le bal, un cheesecake au citron tout à fait honorable et une Pavlova fidèle à ses promesses de fraîcheur et de croquant.
Bref, pas grand-chose à en redire, d’autant que la carte, façon brasserie twistée à la sauce contemporaine, se métamorphose régulièrement pour répondre aux caprices des saisons. Et pourtant, la magie n’opère pas. On reste sur ses gardes, le coup de foudre détourné par un gros paratonnerre de frime. C’est que Monsieur Bleu a un vilain défaut. Deux, même : il écoute de la musique fadasse et prétentieuse (notre repas fut assaisonné d’un « DJ set » tout ce qu’il y a de plus lounge-soporifique), et s’entoure de gens qui ressemblent bigrement à sa playlist. Ici, si vous ne vous faites pas dans la hype, on vous le fait bien sentir : regards hautains côté clientèle, traitement outrecuidant, guindé et intrusif côté service (le temps d’une petite cigarette en terrasse, le maître d’hôtel nous rappelle à table trois fois pour une « urgence » desserts). Si vous souffrez, comme nous, d’une allergie à ce genre d’ambiance, vous voilà donc prévenus. Mais ne boudez pas monseigneur Bleu pour autant : peu de lieux parisiens peuvent se vanter d’un cadre de cette envergure et, s’ils pâtissent de quelques imperfections, ses charmes valent tout de même largement le détour. A condition de s’y frotter en connaissance de cause.
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