La chorégraphie commence par une séance de lèche-vitrine dans un sombre couloir autour d’extraits choisis d’une cave connue pour sa profondeur à faire vaciller la Tour d’Argent. Fair-play, la maison (LVMH) alterne entre cavalerie lourde et cuvées du groupe, orchestrant une joute sous verre entre Petrus, Selosse ou Dom Pérignon. On prend place dans la déco colorée de l’architecte Peter Marino autour d’une vaisselle entre pièces vintage et créations, couteaux Christofle et serviettes brodées, tandis qu’entre les tables virevolte un escadron de serveurs d’une efficacité redoutable, comme montés sur patins. Ici, le chef Arnaud Donckele a choisi de sortir sauces et bouillons de leurs éternels seconds rôles et de les transformer en héros liquides d’une gastronomie française qui leur doit tout – ou presque.
Avant l’arrivée de chaque divin triptyque du menu en sept étapes, une adorable saucière individuelle est déposée sur la nappe, comme une invitation à être lapée d’un coup de langue, avec des intitulés méritant la Pléiade : inoubliable vinaigrette Pampelonne rose escortant le homard, tourteau et yuzu ; velours Eden anoblissant sardine, poireau et tagète ; sabayon « buisson divin » portant au firmament la langoustine, courge et romarin ; bouillon aloyse lutinant des Saint-Jacques aux algues et caviar ; double sauce tanin des failles rocheuses amadouant la puissance du rouget, oursin et laurier ; sauce poulette d’anthologie enrobant la blancheur d’une volaille dorée sur tranche et pomme moelleuse ; et enfin une rose des vignes aux agrumes et pétales d’Alep accompagnée de sa sauce à manger « vitis d’endocarpes »…
Et tout ça appairé par les splendides fulgurances millésimées d’un Emmanuel Cadieu rythmé comme un coucou tyrolien. Quatre heures plus tard, l’addition calorique est si glorieuse qu’on en sortirait presque en maillot de corps, ému aux larmes, le patriotisme en barbotine.