Le cœur a ses raisons que, parfois, la raison n'ignore pas. L'envie de rencontrer celle qui a revu et corrigé l'image de notre boubou chéri se faisait pressante. Quelques brins de soleil, une jolie cour d'immeuble du 3e arrondissement, puis soudain, une silhouette.
Laurence arrive, cheveux soigneusement rangés dans un foulard, talons en bois, elle nous accueille de son sourire franc et de sa voix douce. Native du Cameroun, Laurence Chauvin-Buthaud a grandi en Côte d'Ivoire puis en France. Après une école de stylisme, elle lance sa marque de prêt-à-porter masculin Laurence Airline en 2010 et fait du wax, tissu traditionnel d'Afrique de l'Ouest, sa signature.
Elle l'utilise pour un col, un liseré, une poche ou parfois pour l'intégralité du vêtement, la précision et l'élégance des lignes embrassant avec harmonie la vivacité du motif. Avec autant de justesse que le tombé de ses manches de chemises, la créatrice nous parle de wax, d'élégance, de France, d'hommes et de son canapé jaune.
Laurence Chauvin-Buthaud : Je suis née dans un avion. Enfin... à l'origine « Airline » symbolise le lien entre les deux cultures, mais je préfère dire que je suis née dans un avion.
Pouvez-vous nous expliquer plus précisément ce qu'est le wax ?
Il faut bien différencier le wax et le pagne. On a trop souvent tendance à employer le terme wax pour désigner toute forme de tissu africain, mais le wax est uniquement une technique d'impression. Le mot plus général est « pagne ». La particularité du wax est d'être imprimé sur les deux faces. L'histoire de cette technique est très intéressante. La grande firme Vlisco possède d'importantes archives où l'on peut voir l'évolution du wax, en partant des influences du batik indonésien jusqu'à certaines représentations de symboles tribaux sur le tissu.
Je n'ai pas vraiment choisi, le wax est une évidence pour moi. J'ai grandi avec, il était naturel pour moi de l'utiliser.
Avez-vous eu une volonté de bousculer les codes en associant un motif africain à des coupes modernes et occidentales ?
Je n'ai jamais eu la volonté de faire la révolution. Je suis empreinte de mon époque, c'était naturel pour moi, je ne me suis pas posé la question. Il n'était pas envisageable que ça soit autrement. Mes vêtements témoignent de ma réalité, un mélange entre France et Afrique à l'époque contemporaine.
Où les vêtements sont-ils fabriqués ? Quel lien entretenez-vous avec les artisans locaux ?
Tous les vêtements sont fabriqués en Côte d'Ivoire. J'ai créé et formé une équipe d'une dizaine de personnes. J'ai fait mes études dans une école de stylisme à Paris mais je voulais collaborer avec des artisans africains du wax. La plupart d'entre eux connaissent bien la matière, ils ont une parfaite technique mais leur exigence des finitions ne correspond pas aux normes françaises et occidentales. Du coup, nous formons les tailleurs locaux au travail de la couture. Je voulais du beau travail, bien net et une esthétique précise.
Il y a différentes qualités de wax. En fonction du coton mais aussi de la technique et du savoir-faire, le wax est plus ou moins bon. Le wax hollandais est le plus reconnu et c'est celui que j'utilise. Il existe aussi du wax italien, africain, indien ou chinois. Les motifs sont dessinés ou choisis lors de l'achat du tissu. Le motif doit me permettre de me projeter dans un univers en trois dimensions, dans un récit qui me parle.
Pourquoi des collections uniquement masculines ?
Je dirais que c'est une sorte d'hommage. Lorsque j'avais ma boutique à Londres, beaucoup d'hommes m'encourageaient et me félicitaient pour mon travail avec la mode féminine. Ils m'ont soutenue et me réclamaient des vêtements colorés et audacieux pour eux, ils adoraient ça. Etant donné que la gamme de vêtements pour les hommes est très peu diversifiée, j'ai eu envie de focaliser mon travail sur le vestiaire masculin.
Pensez-vous que Paris, par son importante immigration africaine, est plus réceptive à vos créations ?
Certes, il existe une importante communauté immigrée en France mais il y a surtout un fort chauvinisme ambiant, même chez certains des migrants. C'est une bonne chose de conserver ses traditions, c'est normal, mais je pense qu'il faudrait que tout le monde s'ouvre un peu plus en rappelant que la France est un melting-pot. En ce qui concerne mes collections, les coupes modernes rendent le wax plus comestible. En le détachant de son côté folklorique, je lui permets de se démocratiser. Mais Paris a toujours un peu de mal avec le changement. Les Français associent les vêtements à des valeurs intellectuelles et morales. On passe toujours pour un excentrique ou un m'as-tu-vu avec une cravate rouge ou une chemise à motifs.
A Paris, une tendance s'impose uniquement après s'être imposée partout ailleurs, comme un gage d'honorabilité. Je suis assez déçue par la gente masculine française, qui ne fait pas d'efforts pour s'habiller. Parfois je me demande où est passée l'élégance à la française. Il faut trouver un équilibre entre un conservatisme culturel légitime et de la mixité, une ouverture sur le monde.
Oui, il y en a plusieurs. Notamment mon amie Loza Maléombho, qui utilise le wax dans ses collections. En France, vous avez le Labo Ethnik, qui rassemble beaucoup de créateurs utilisant cette méthode. C'est important qu'on ait un œil sur la mode africaine en Europe.
Que pensez-vous de la Black Fashion Week qui se déroulera en octobre à Paris ?
Je n'y suis pas allée mais j'ai un peu de mal avec le communautarisme. Pourquoi Black Fashion ? Je préfère les Fashion Week qui se déroulent en Afrique. Celles d'Afrique du Sud ou de Côte d'Ivoire sont très intéressantes, de formidables créateurs y ont été présentés. J'espère sincèrement qu'elles vont se développer.
Bientôt une boutique Laurence Airline ?
A l'avenir sûrement, mais c'est compliqué. Pour le moment le showroom fait office de boutique, on peut venir y essayer et acheter des vêtements.