Avant même d’entrer dans le cabaret de l’Essaïon Théâtre, l‘ambiance est plantée. « Bienvenue à l’Alcazar ! », lancent Maria et Jojo en déchirant mon billet. Une salle en pierres, voûtée, minuscule et chaleureuse me tend les bras. Sur scène, des tables, des chaises, du vin prêt à couler à flots, un piano et un accordéon pleins de promesses… Puis les lumières s’effacent, la musique monte et je glisse tout doucement vers une autre époque. Voici qu’entre en scène le meneur de la soirée, à la fois récitant, chanteur et comédien qui, flanqué de deux musiciens extraordinaires, offrira à l’audience 1h30 d’évasion mélodique.
« Excusez-moi monsieur, vous avez l’heure, s’il vous plaît ? » Un spectateur regarde sa montre et lui répond. Il ne se doute pas que quelques minutes plus tard, il se retrouvera sur scène, assis à une table à siroter du vin rouge. De mon côté, je suis bien loin d’imaginer que bientôt, je chanterai allègrement que « ça sent la bière, de Londres à Berlin » en faisant valser mon verre… Et avant que vous me le demandiez, non, ce n’est pas dans mes habitudes de spectatrice ! La sacrosainte « participation du public », d’usage au cabaret, est ici authentique, subtile, amenée en douceur. Et les chansons, très connues ou plus confidentielles, s’enchaînent avec une rare fluidité.
Ce jeune trio prend le pari audacieux de nous faire oublier la voix du monument Jacques Brel pour mieux en redécouvrir la musique et l’univers. Pari tenu avec une histoire simple et bien ficelée : un serveur de café en fin de service attend Madeleine, avec qui il a un rendez-vous galant. Pour faire passer le temps, il nous raconte « ces gens-là » qui font partie de son quotidien. La Montalant, tenancière de bar aigrie et autoritaire, la jolie Madeleine qui se fait attendre, les notaires d’en face qui se font traiter tous les soirs de cochons, Mathilde qui est revenue (mais est-il besoin de le préciser ?), la belle de la rue de la Madone ou encore Jeff qui n’est plus tout seul… Alors certes, il n’a que des lilas en plastique sous la main, il se console avec des madeleines Bonne maman et partagera finalement ses bonbons avec le public, mais c’est peut-être justement en cela que réside la poésie tout en finesse de ce spectacle : une réappropriation sincère et touchante d’un monstre sacré. Ce n’est pas « au suivant » que le public demande, mais bien « une autre ».
Je remonte les marches du théâtre le sourire aux lèvres. Les rues animées de Paris semblent être le prolongement du spectacle auquel je viens d’assister. Ce soir, j’attendais 'Madeleine' au tournant et je n’ai vraiment pas été déçue.