C'est l'histoire d'une exposition pas tout à fait comme les autres. Depuis le sas de sécurité, une jeune femme nous presse au silence ; nous explique comment les choses vont se dérouler, nous invite à choisir un chiffre par lequel nous allons être appelés. Depuis le sas, on entend le chant cristallin d'un chœur, celui de Windhoek, selon le prospectus. L''Ave Maria' nous embaume, nous berce et nous convie à admirer des tableaux... vivants. Sur un piédestal rotatif, une femme à la peau brune nous regarde droit dans les yeux. Devant des têtes de cervidés empaillés, un couple d'Africains nous fixe. Autant dire que le malaise est grand lorsque le spectateur, d'habitude à l'aise dans sa position de voyeur, est lui aussi regardé. Sachez-le tout de suite, cette exposition n'a rien d'une petite balade joyeuse au milieu de beaux tableaux. Bien que plastiquement très réussies, les œuvres de Brett Bailey nous confrontent violemment au passé colonial et esclavagiste de l'Europe (Hollande, Portugal, France). On y lit les tortures, les exactions, les retours meurtriers à la frontière, le destin tragique des réfugiés. Apposées sur des pupitres, ou glissées dans un coin du tableau, des phrases nous plongent tête baissée dans l'horreur banalisée, on y lit que « Les noirs ont été nourris » ou qu'il faut « Civiliser les indigènes ».
Ni photographie en papier glacé, ni vidéo différée, mais des yeux pleins de ces tragédies, des regards qui soutiennent les nôtres. « Les chambres sombres de notre imaginaire collectif sont hantées par de fausses représentations silencieuses et des configurations tordues de l'altérité. Elles masquent les atrocités commises par le colonialisme dans les robes chatoyantes de la civilisation. Elles contribuent aux stéréotypes avilissants et aux systèmes deshumanisants tels que l'Apartheid, système dans lequel j'ai grandi » raconte Bailey.
'Exhibit B' (pour pièce à conviction) ne se « contente » pas de ressusciter les démons d'autrefois, mais expose le procédé de deshumanisation qui a mené, en toute conscience, aux tortures et aux pillages. Pire, il nous invite à retrouver cette même déshumanisation dans le racisme contemporain. Celui qui, entre autres, tua Mariam Getu Hagos dans l'enceinte du bel aéroport de Roissy en 2003.