Que l'on reste assis pendant deux heures quarante ou que l'on se lève avant la fin : une chose est sûre, le travail acharné d'Angélica Liddell ne laisse pas indifférent. Il gratte, il fait sourire, il énerve, il provoque. Il fait tout cela en même temps. Il faut dire que l'Espagnole ne ménage pas ses spectateurs. Après seulement quelques minutes, Angélica apparaît culotte pailletée vissée sur les fesses dans un décor peuplé de crocodiles volants, d'un sapin nu et d'un dôme de terre noire. A moitié enfoncée dans l'ébène, elle va se masturber pendant quelques longues minutes, déchirant le silence médusé de la salle par de longs et viscéraux râles de plaisir. Les amateurs de théâtre contemporain ne silleront pas, Rodrigo Garcia a fait pire dans le genre. Mais ce qui différencie Liddell de ses compères, c'est le désespoir avec lequel elle fouille ses spectacles. 'Todo el ciel sobre la tierra' ressemble ainsi à un long hurlement écorché, percé ici et là de moments de grâce ultime. Une série de valses menée par un vieux couple de Chinois, les vers de Wordsworth répétés en boucle, et la guitare inoubliable de "The House of the Rising Sun". Des instants de paix inestimables dans le fracas chaotique. Entre constat d'échec (« Les relations ne survivent pas à la condition humaine ») et questionnement désespéré (« Comment je peux être heureuse si la joie dépend toujours d'un combat ? »), la performeuse livre un texte au cynisme noir.
Pendant ce superbe et (trop) long monologue, Angélica va cracher sa haine des mères, son inaptitude à vivre en société, son extrême solitude... Un cri d'une violence extrême, une spirale dans laquelle elle emmène étrangement les jeunes morts de l'île d'Utoya (en Norvège, abattus un à un en juillet 2011 par Anders Breivik). Avec cette force pleine de rage, Angélica Liddell livre un spectacle à la beauté crue, irritant, intense et à bien des égards inestimable.