Quoi ? • 'Karamazov' de Jean Bellorini
Où ? • Carrière Boulbon
Quand ? • Du 11 au 22 juillet à 21h30
Note : **
Genre : Théâtre contemporain
Les 3 et 4 décembre 2016 au Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France (93), du 23 au 25 février 2017 à la Maison des Arts André Malraux, Scène nationale de Créteil et du Val de Marne (94), du 1er au 5 mars au Théâtre Firmin Gémier / La Piscine – Pôle National des Arts du Cirque d'Antony et de Châtenay-Malabry (92).
Entre hall de gare abandonné et grande datcha décrépite, le décor du ‘Karamazov’ créé par Jean Bellorini au Festival d'Avignon donne l'esprit de la pièce : un condensé sans choix clairs ni audace du livre de Dostoïevski, que Freud qualifie dans une célèbre préface de « roman le plus imposant qui ait jamais été écrit », mettant l'accent sur l'épisode du Grand Inquisiteur, « une des plus hautes performances de la littérature mondiale ». S'il ne prétend pas rivaliser avec la haute falaise de calcaire de la Carrière Boulbon, lieu historique des grandes épopées avignonnaises – le ‘Mahâbhârata’ de Peter Brook en 1985, par exemple – le metteur en scène ne donne pas non plus dans la sobriété.
Après la scène inondée de ‘Paroles gelées’(2012), d'après l'œuvre de Rabelais, et les auto-tamponneuses de son ‘Liliom’ (2013), le metteur en scène opte pour un système de rails sur lesquels se succèdent des mini-scènes, dont certaines sont entourées de cages de verre. On pense aux ‘Éphémères’(2006) d'Ariane Mnouchkine, version mécanisée. Ou encore à Krystian Lupa, génie des scènes gigognes, dont le ‘Place des héros’ de Thomas Bernhard sera aussi créé durant le Festival. Bien que moins clinquant que ses spectacles précédents, le ‘Karamazov’ de Bellorini ne brille donc pas non plus par son originalité formelle.
On retrouve la dimension musicale propre à l'esthétique de Bellorini. Le pianiste Michalis Boliakis, un de ses fidèles collaborateurs, occupe la gare-datcha avec Hugo Sablic à la batterie, qui incarne aussi le Starets Zossima. Tous deux rythment cinq heures et demi durant l'adaptation du texte réalisée par Bellorini lui-même et son dramaturge Camille de La Guillonière, d'après la traduction d'André Markowiz. Façon brechtienne, mais dans un but davantage distrayant que politique. Tandis que Fiodor Pavlovitch Karamavoz (Jacques Hadjaje, excellent dans son rôle de père égoïste et irresponsable) attend à sa fenêtre la jeune Grouchenka (Clara Mayer) qu'il courtise en même temps que son fils Dimitri (Jean-Christophe Folly), 'Tombe la neige' de Salvatore Adamo vient par exemple ajouter du mélo à une situation qui n'en avait guère besoin. Ce n'est pas pour rien que Bellorini a travaillé sur l'auteur de ‘Pantagruel’. Il aime le trop-plein. L'excès.
« Roman réunissant intrigue policière, histoires d'amour et exposés métaphysiques », selon les termes employés par le metteur en scène, ‘Les Frères Karamazov’ est sans aucun doute un texte de la profusion. Du sentiment désordonné. Perdu quelque part entre hauteurs spirituelles et tentations charnelles. « Les personnages inoubliables, déchirés par leurs conflits intérieurs, recherchent une vérité qui n'a rien à voir avec une quête de la raison », poursuit Jean Bellorini sur la feuille de salle. S'il parvient à rendre lisible la trame complexe de l'oeuvre, il échoue pourtant à lui donner l'intensité souhaitée. À l'image de l'ensemble, son Alexeï manque de rage et de folie. Chétif dans son long manteau rouge, cheveux blond oxygéné, François Deblock propose une interprétation quasi-désincarnée du personnage central. Il est un centre vide un peu niais. Un jeune paumé à la tenue et au langage nonchalants, qui se nourrit des tragédies de son père et de ses frères sans en paraître très ébranlé.
Entre la dégaine viking des musiciens parqués sous leur hall et les costumes vaguement gothiques de François Deblock et Hugo Sablic, ce ‘Karamazov’ traîne en longueur comme un adolescent complexé. Les moments les plus attendus sont les plus pesants. Trop appliqué, le fameux épisode du Grand Inquisiteur marque l'apogée de la lourdeur du spectacle. Seule consolation, Jean Bellorini n'a pas osé faire durer la déception autant que Julien Gosselin avec son ‘2666’ de douze heures...