Quelque part entre les « hommes hideux » de David Foster Wallace et les « femmes puissantes » de Léa Salamé, les « brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles » du dramaturge espagnol Joan Yago décrivent avec cynisme et cruauté les pièges et apories que peut renfermer l’idée de « féminité »… Et comment ceux-ci peuvent (dé)structurer notre représentation de soi. A travers cinq portraits de femmes aux faux airs de bêtes de foire (une Barbie humaine, une femme à la peau bleue…), la pièce caricature avec finesse, humour et intelligence les travers d’un paradoxe très contemporain : si la différence est parfois difficile à assumer, nous désirons tous, en permanence, être remarqué… Et faire exception.
Dans cette recherche constante de l’exceptionnalité, que fuyons-nous exactement ? Serait-ce la médiocrité ? Ou la peur d’être oublié, de ne pas en avoir assez fait avant la mort ? Dans une mise en scène très bien rythmée signée Gabriel Tur (collectif Le Grand Cerf Bleu), portée par l’excellente musique live d’Etienne Jaumet (moitié du duo électro Zombie Zombie), la philosophie existentielle rencontre la société du spectacle sur un plateau pop et franchement gai. On rit, on s’interroge… On s’émerveille devant le miracle du jeu et du travestissement, qui permet aux acteurs (et à nous tous), de pouvoir en un clin d’œil changer de personnage pour embrasser de nouveaux avatars. Parce que chacun des entretiens possède sa propre mécanique et un dispositif scénique reflétant différentes traditions médiatiques, on ne s’ennuie jamais, et on regrette presque que le spectacle ne dure pas plus longtemps.
Les partis pris formels du texte de Joan Yago posent toutefois question : pourquoi avoir choisi de dépeindre l’hypocrisie du monde contemporain à travers une galerie de portraits exclusivement féminins ? Et, dans le même mouvement, pourquoi est-ce que leurs contradictions et faiblesses sont toujours pointées du doigt par… un homme (l’intervieweur) ? Si l’on n’avait pas peur d’être traité de féminazie, on avouerait s’être demandé s’il n’y avait pas derrière ces choix un léger relent de misogynie (oups, c’est dit)… Mais peut-être touche-t-on ici du doigt le véritable sujet de la pièce : ce schéma n’est-il pas simplement l’inquiétant reflet de notre système médiatique ? N’en déplaise à Léa Salamé, le sentiment de toute-puissance d’un Hanouna faisant valser en toute impunité ses invitées hautes en couleur (coucou Afida Turner) semble encore inégalé…