Parfois, on aime se raconter des histoires. Parce que le mensonge et l’imagination sont de plus beaux pays à habiter qu’une triste réalité. Pour faire face au deuil de leurs mères respectives, une truculente jeune fille et un timide petit prince se sont enfermés dans leurs propres illusions… Jusqu’à ce qu’ils se rentrent dedans et que la vérité éclate. Avec cette réécriture poético-comique du conte de Cendrillon, créée il y a maintenant un peu plus de dix ans, Joël Pommerat nous fait vivre un rare moment de grâce : on passe une heure quarante bouche bée, avec papillons dans le ventre et supplément d’étoiles dans les yeux. En langage de millennials : c’est un huge crush.
Chez Pommerat, la pantomime fait rougir le réel. La narration, prise en charge par un danseur muet accompagné d’une douce voix off de femme, nous fait entrer dans le monde du conte comme dans une boîte à musique. Et toute la représentation se retrouve bercée dans ce bel artefact de l’enfance et du rêve, peuplé d’automates à figures humaines dont les ombres font danser les murs. Tout dans la mise en scène semble être réalisé pour la beauté du geste, sans que le moindre mouvement des comédiens ou des décors ne paraisse artificiel ou superflu. La chorégraphie est précise, millimétrée, sans jamais ne rien figer ; au contraire, en chacun des acteurs, la vie, son aléatoire et ses hasards semblent comme exacerbés.
L’actrice Léa Millet, qui interprète la jeune Sandra – surnommée Cendrier par ses deux méchantes sœurs d’adoption – est parfaitement surréaliste. Dans la maison de verre de sa marâtre de belle-mère, elle se jette corps et âme dans les tâches ménagères sans jamais perdre la face. L’énergie de sa révolte, du désespoir qui habite son quotidien et la rappelle à lui – littéralement – toutes les cinq minutes comme on remonte une poupée mécanique, est éclatante. Loin des stéréotypes de la jeune première, elle porte sur elle tout le poids du monde sans sourciller, et sans le vivre comme une fatalité. Elle est Cendrillon par choix, et c’est aussi par choix qu’elle redeviendra Sandra. A voir et à revoir mille et une fois.