C’est sur les notes de ‘Hells Bells’ que l’assaut verbal est lancé. Cela n’a rien d’illogique : les mots de Gaspard Proust cognent et raisonnent comme des coups de marteau donnés par AC/DC sur une cloche. Qui plus est, l’humoriste à la langue fourchue extrêmement bien pendue se révèle infernal, tirant le diable par la queue à la moindre occasion. Le diable ? Tous les sujets polémiques imaginables : les attentats, les religions (aucune ne fait exception), les sexualités et le couple (« où la résignation est une forme de sagesse »), les politiques, l'autorité parentale, les bobos (« qui donnent à leurs enfants des prénoms d’huiles essentielles »)… Chacune de ses saillies fabuleuses est précédée par un silence de plomb, la salle retenant son souffle, attendant avec gourmandise que l’héritier mainte fois désigné de Pierre Desproges dégaine une réplique incisive qui déclenchera une hilarité nerveuse parmi les rangs avertis.
Même son public « métissé caucasien » en prend pour son grade ! Et il a l’air d’apprécier cela, le bougre, capable d'accueillir Gaspard Proust avec des applaudissements nourris après être resté un quart d'heure à fixer un rideau dans l'obscurité, pendant que celui-ci faisait mine de discuter en loge, micro ouvert, avec un technicien. Du sado-masochisme en Armani et The Kooples. « Quel orgueil », assène d’ailleurs dédaigneusement l’humoriste aux spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées.
Humour noir et des espoirs
Avec une désinvolture naturelle, Gaspard Proust cultive à merveille son côté mauvais garnement, trash, cash et inconséquent (mais loin d'être inconsistant). Sans sourciller, il débite des constats assassins, des comparaisons caustiques et des allusions graveleuses (un peu faciles, parfois). Comme lorsqu’il affirme qu’avec l’âge, on finit par confondre incontinence et éjaculation. Ou que faire sa prière cinq fois par jour lui donne l’impression d'entretenir une relation avec « une hystérique "insécure" ».
Mais que l'on ne s'y méprenne pas : bien que ressemblant à une réincarnation du misanthrope, Gaspard Proust aime les gens. Comme un prof qui vous pousse à faire toujours plus parce qu'il veut vous voir réussir, cet insoumis aux allures de gendre idéal vous maltraite et vous choque pour mieux titiller votre esprit critique, en appeler à votre exigence intellectuelle pour qu’elle ne s’impose aucun tabou. « Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie », disait Jacques Prévert. Cette citation pourrait être le credo du ‘Nouveau spectacle’ de Gaspard Proust, qui prouve que toiser le tragique sans permission s’apparente à une forme d'optimisme. Et puis, si essayer de faire rire les gens à une époque aussi morose, ce n'est pas une preuve d'altruisme...
Finalement, on en vient donc à se demander si, pour être radicalement méchant (et l'assumer pleinement) sur scène, il ne faut pas être profondément gentil dans la vraie vie ?