La violence semble parfois à portée de main… Qui ne s’est jamais senti submergé par la haine face à ce mec qui laisse des espaces se créer dans une file d’attente à la CAF ? Ou face à cet immonde gosse qui joue avec sa nourriture comme pour jouer avec nos nerfs ? Quelque chose, pourtant (c’est heureux), retient notre main. Dans Girls and Boys, le dramaturge et scénariste britannique Dennis Kelly (derrière la géniale série Utopia) nous fait subtilement passer du rire à l’horreur en s’attaquant à l’angle mort de nos pulsions et pensées inavouables : le passage à l’acte. Et interroge par ce biais certains traits latents de la masculinité.
Mise en scène par Chloé Dabert, la pièce raconte comment la violence la plus inhumaine peut advenir là où personne ne l’attendait, à travers une histoire d’amour en apparence banale. Et malgré sa conclusion éminemment tragique, c’est un des spectacles les plus drôles qu’il nous ait été donné de voir cette année. En un long et savoureux monologue pour une actrice, Dennis Kelly construit avec brio un personnage féminin comme on n’en rencontre encore que trop rarement au théâtre. Un portrait sensible et ultra-contemporain qui retrace sans complaisance la vie d’une jeune femme, de sa truculente période « je me défonce, je baise » jusqu’à son divorce et l’effroyable drame qui suivit. En ressort un personnage caustique et salé, qui n’hésite pas à flirter avec la vulgarité dans un souci de sincérité, se révélant souvent particulièrement « relatable ».
Si le texte est réussi, Bénédicte Cerutti lui apporte un supplément d’âme non négligeable, grâce à une performance magnétique qui semble presque tenir de l’alchimie. Seule sur scène, dans un décor modulable où dialoguent en permanence des zones d’ombre et de lumière, la comédienne donne corps aux mots avec un engagement et une force rares. Dans sa bouche, chaque phrase, chaque trait d’esprit, chaque silence sonne plus juste encore qu’à la simple lecture, comme si la pièce avait été taillée pour elle. Pendant une heure et demie, on la voit peu à peu se transformer sous nos yeux pour nous amener, sans jamais nous perdre, d’une porte d’embarquement EasyJet jusqu’aux portes de l’Enfer. A la fin de la pièce, l’émotion manifeste qui se lit sur son visage est palpable, contagieuse, et l’enthousiasme du public au moment du salut ne trompe pas. On en voudrait presque à nos mains de ne pas applaudir assez fort…